L’ESPION DU PAPE
participer, je préférerais mille fois offrir ma propre vie, si elle pouvait arrêter les massacres.
« Et voilà ! triomphe intérieurement Stranieri. Il est bien tel que je le pensais ! J’ai trouvé l’homme qu’il me fallait, généreux, altruiste, incorruptible jusqu’au sacrifice de soi ! »
— Vous êtes noble et courageux, je l’avais deviné, conclut-il.
Touvenel se lève et s’apprête visiblement à le quitter. « Comment faire pour rester en sa compagnie ? » Stranieri se souvient que Macabret lui a dit que le chevalier habitait chez des tailleurs. « Tentons ma chance ! » pense-t-il. Et, portant une main à son fondement au moment où il se lève à son tour, il tire sèchement sur le tissu et pousse un cri.
— Que vous arrive-t-il ? s’étonne Touvenel en se retournant.
— Je viens de déchirer mon pantalon.
Il se tourne et lui montre le fond de son pantalon déchiré, qui laisse voir ses fesses. Touvenel éclate de rire, hésite un instant, puis propose :
— Venez avec moi. Je connais quelqu’un qui peut vous arranger ça.
Trempée de sueur sur sa couche, Yasmina délire. Les mots inaudibles ou incohérents qui sortent de sa bouche et sa respiration rauque inquiètent de plus en plus Touvenel.
— Les décoctions que vous lui avez fait boire ne l’ont donc pas soulagée ? s’inquiète-t-il auprès de Constance.
Penchés sur la jeune fille, tous deux la regardent gémir et se battre contre la fièvre maligne qui la torture depuis quatre jours. Touvenel prend sa main dans la sienne et dépose un baiser sur son front. Elle s’accroche à lui, parvient à se redresser et passe ses bras autour de son cou dans une étreinte désespérée. Il tente de la calmer. Elle se laisse retomber et sombre de nouveau dans un sommeil profond. Touvenel se dégage doucement et interroge Constance du regard.
— Il n’y a rien à faire d’autre que de la laisser reposer. Allons dîner. Ce troubadour que vous nous avez amené saura peut-être nous apporter un peu de distraction.
La jeune femme referme les rideaux du lit sur Yasmina et se dirige avec Touvenel vers le son d’un luth qui sort de l’atelier de couture où Stranieri termine de donner une aubade aux ouvrières, pour les remercier d’avoir réparé son habit. Elles l’applaudissent, quand Constance et le chevalier entrent dans la salle.
— Une autre, s’il vous plaît ! Une autre ! lui demande-t-on.
Constance insiste à son tour.
— Chantez-nous donc un chant d’amour, un gai chant d’amour !
Stranieri fait mine de s’étonner.
— Un gai chant d’amour ? L’amour est toujours triste.
— Une histoire d’amour, alors ! demande l’une des petites.
— Je ne veux pas assombrir cette soirée. Les histoires d’amour finissent toujours mal, en général.
— Oh ! non, lui réplique la fille. Il existe des histoires d’amour qui vous promettent une vie entière de bonheur.
Stranieri fait la grimace.
— Une vie entière de bonheur ! Quel ennui ce serait !
Et, clignant de l’œil à Touvenel et Constance :
— Je gage qu’aucun d’entre nous ne pourrait le supporter.
Constance sourit.
— Le mois dernier, au village, un jongleur de mots est passé. Il avait une très belle chanson qui disait que l’amour n’est pas sacrilège.
Stranieri plaque un accord et enchaîne :
L’amour n’est pas un péché
C’est une vertu qui rend bons les méchants
Et les bons meilleurs encore
Et d’amour vient chasteté
Car qui en amour s’entend
Ne peut plus mal agir
— C’est cela, oui ! approuve Constance, ravie.
Touvenel reste mélancolique à la pensée des mots qu’il vient d’entendre. Lui qui avait retrouvé avec Constance les plaisirs de la chair, la communion de l’esprit et du corps, comprend mal qu’elle se plaise à chanter la chasteté. « Ces paroles voudraient-elles dire pour elle que les corps ne peuvent s’aimer véritablement ? » se demande-t-il. Autre chose le tracasse. Il est de plus en plus troublé par le visage de ce troubadour. Malgré ses dénégations, il est à peu près certain de reconnaître l’homme qui se tenait l’autre jour dans l’église derrière le seigneur de Gasquet.
— Bertrand, à quoi rêvez-vous ? Vous m’entendez ?
Perdu dans ses réflexions, Touvenel s’est à peine rendu compte que Constance, le troubadour et lui étaient passés à table.
— Pardonnez-moi, Constance. J’étais dans l’inquiétude
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