L'Étreinte de Némésis
cette
grande mise en scène était une question de politique. Pour Crassus, il vaut
même mieux qu’il ne trouve jamais Alexandros. Ainsi il peut effrayer les gens
en leur racontant la fable du monstre thrace qui s’enfuit pour rejoindre
Spartacus.
— Ce
que tu dis est vrai aujourd’hui, Olympias. Mais, au départ, lorsque Alexandros
est venu frapper à la porte de Iaia, était-ce aussi vrai ? Que se
serait-il passé si tu lui avais conseillé d’aller tout de suite se présenter à
Crassus ? Crassus aurait-il envisagé de venger son cousin de si terrible
manière ? Ne te sens-tu pas coupable d’avoir caché son esclave, pour ton
plaisir, tandis que tous les autres allaient se faire massacrer ? Les
vieux, les femmes, les enfants…
— Mais
Alexandros est innocent ! Il n’a jamais tué personne !
— C’est
ce que tu dis. C’est peut-être ce qu’il t’a raconté. Mais qu’en sais-tu
vraiment, Olympias ?
Elle
recula et haleta. Les amants échangèrent un étrange regard.
— Tu
sais aussi bien que moi que cela ne fait aucune différence qu’Alexandros soit
innocent ou pas, dit-elle. Qu’il soit coupable ou innocent, Crassus le
crucifiera s’il l’attrape.
— Pas
si je peux prouver qu’il est innocent. Si je peux découvrir qui a tué Lucius
Licinius, si je peux le prouver…
— Alors,
surtout alors, Alexandros n’aura plus aucune chance d’échapper à Crassus. Et tu
l’accompagneras dans la mort.
De
la tête, je fis signe que non.
— Tu
parles par énigmes… comme la sibylle.
Olympias
regarda vers l’ouverture de la grotte. Des reflets de lumière apparaissaient à
la surface de l’eau écumeuse.
— La
mer s’est suffisamment retirée, dit-elle. Il est temps de remonter à la maison
pour aller voir Iaia.
4
Iaia
fît toute une histoire à propos de ma blessure à la tête. Elle insista pour
préparer un cataplasme avec un mélange de plantes malodorantes qu’elle appliqua
sur la blessure. Puis elle me banda la tête. Elle voulut aussi me faire boire
une infusion couleur d’ambre. J’hésitai à la porter à mes lèvres, pensant à
Dionysius.
— Tu
sembles en savoir long sur les plantes et leurs propriétés, dis-je.
— Oui,
répondit-elle. Avec le temps, j’ai appris à préparer mes propres couleurs. Et
pour cela, j’ai aussi appris à récolter et à préparer les plantes au bon moment
de l’année. J’ai fini par m’y connaître. Je ne sais pas seulement quelle racine
va me donner un superbe pigment bleu, mais également laquelle va guérir une verrue
par exemple.
— Ou
tuer un homme ? avançai-je.
Elle
eut un petit sourire.
— Peut-être. L’infusion
que tu vas boire pourrait peut-être tuer un homme. Mais pas avec cette
concentration, ajouta-t-elle. C’est principalement de l’écorce de saule,
mélangée à un soupçon de cette substance qu’Homère appelait népenthès [52] et que l’on obtient à partir du pavot égyptien. Cette
boisson va soulager ton mal de tête. Alors bois-la.
— Le
poète dit que le népenthès fait disparaître la tristesse.
— C’est
pourquoi la reine d’Égypte en donna à Hélène pour guérir sa mélancolie.
— Homère
dit aussi qu’il fait oublier, Iaia, or je ne veux pas oublier ce que j’ai vu et
appris.
— La
dose que je t’ai donnée ne te fera pas rêver, mais elle soulagera simplement
les élancements.
Alors
que j’hésitais encore, elle fronça les sourcils et hocha la tête, déçue.
— Gordien,
si nous avions voulu te nuire, Alexandros aurait pu te tuer en bas, dans la
grotte, ou sur le sentier de la falaise. Et même maintenant il ne serait pas
difficile de te précipiter sur les rochers en contrebas. La mer te balayerait
et tu disparaîtrais pour toujours. Aujourd’hui, je te fais confiance, Gordien.
Ce n’était pas le cas au départ, je dois l’admettre. Mais mon jugement a
changé. Et toi, me fais-tu confiance ?
Je
la regardai au fond des yeux. Elle était assise droite sur une chaise sans
dossier, vêtue d’une ample stola jaune. Le soleil n’était pas encore apparu
au-dessus du toit de la maison et la terrasse était plongée dans l’ombre. Loin
en dessous de nous, les vagues se brisaient contre la côte rocheuse. Olympias
et Alexandros nous regardaient comme si nous étions deux gladiateurs qui s’affrontent
en duel.
Je
levai de nouveau la coupe vers mes lèvres, mais la reposai sans l’avoir
touchée. Iaia soupira.
— Si
seulement tu buvais, la
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