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L'Étreinte de Némésis

L'Étreinte de Némésis

Titel: L'Étreinte de Némésis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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beaucoup de chance.
    Et
je songeai aux esclaves, sur la Furie , à l’immonde puanteur de leur
corps, à la misère effrayante dans leurs yeux, à l’immensité infinie de leur
désespoir. Ils appartenaient à un homme qui ne verrait jamais leurs visages et
ne connaîtrait pas leurs noms, un homme qui ne saurait même jamais s’ils
étaient vivants ou morts, sauf quand un secrétaire viendrait lui demander de
les remplacer. Je pensai au jeune garçon qui m’avait rappelé Eco, celui sur
lequel le gardien s’était acharné pour le punir et l’humilier. Je me souvins de
sa façon de me regarder avec son sourire pathétique, comme si je possédais
quelque moyen de l’aider, comme si, étant un homme libre, j’étais une sorte de
dieu.
    J’étais
las, mais le sommeil ne semblait pas vouloir venir. J’allai chercher une chaise
dans un coin, m’assis devant le miroir et contemplai mon visage. Cette fois,
mes pensées allèrent au jeune esclave Apollonius. Des bribes de son chant se
répercutaient dans ma tête. Puis je me souvins de l’histoire du philosophe,
celle de l’esclave magicien Eunus qui crachait le feu et entraîna ses compagnons
dans une révolte folle. Je dus commencer à rêver parce que, soudain, j’eus l’impression
de voir Eunus dans le miroir, avec une couronne de feu, de petites flammes
sortant de ses narines et de sa bouche. Dans le reflet de la glace, je vis
par-dessus mon épaule le visage cadavérique de Lucius Licinius, avec son œil
mi-clos et couvert de sang. Il se mit à parler dans un vague murmure, mais trop
bas pour que je le comprenne. Alors il tapa sur le sol. On aurait dit une sorte
de code. Je secouai la tête, perplexe, et lui demandai de parler plus fort.
Mais, à la place, du sang coula de ses lèvres. Quelques gouttes tombèrent sur
mon épaule, puis sur ma cuisse. Je baissai les yeux. Par terre était étalée une
cape ensanglantée. Elle frémissait et chuintait. Des milliers de vers
grouillaient, les vers mêmes qui avaient dévoré un dictateur et un esclave-roi.
Je voulus éloigner la cape, mais restai paralysé.
    Puis
une main lourde et puissante se posa sur mon épaule. Une vraie main. J’ouvris
les yeux en sursaut. Dans le miroir, j’aperçus le visage d’un homme brusquement
surgi d’un rêve profond. Sa mâchoire tombait et ses yeux étaient lourds de
sommeil. Le reflet d’une lampe me fit cligner des yeux. Dans la glace, je vis
plus précisément l’homme qui la tenait : un géant menaçant en tenue de
soldat. Son visage était sale et laid. Il ne respirait pas l’intelligence. On
aurait presque dit un masque de comédie. Un garde du corps, pensai-je en
reconnaissant instantanément le type d’individu, un assassin entraîné. Il me
semblait cruellement injuste qu’un meurtrier ait déjà été envoyé pour m’assassiner.
Je n’avais encore rien fait.
    — Je
te réveille ?
    Sa
voix était rauque, mais étonnamment courtoise.
    — J’ai
frappé et je jurerais t’avoir entendu me répondre. Alors je suis entré. Comme
tu étais assis sur cette chaise, je pensais que tu ne dormais pas.
    Il
leva un sourcil. Je le dévisageai stupidement, me demandant encore si je
donnais ou non.
    — Que
fais-tu ici ? demandai-je enfin.
    Le
visage hideux esquissa un sourire aimable.
    — Marcus
Crassus te réclame dans la bibliothèque, en bas. Si tu n’es pas trop occupé,
bien sûr.
     
    Il
ne me fallut qu’un instant pour trouver mes sandales. Je commençai à chercher
une tunique décente à la lumière de la lampe. Mais le garde me dit de venir
comme j’étais. Pendant tout ce temps, Eco n’avait cessé de ronfler doucement.
La journée l’ayant épuisé, son sommeil était exceptionnellement profond.
    Un
long corridor nous ramena dans l’atrium central. Nous descendîmes les marches
pour traverser le jardinet intérieur. Les lumières de petites lampes posées sur
le sol projetaient d’étranges ombres sur le corps de Lucius Licinius. Pour
atteindre la bibliothèque située dans l’aile nord, nous remontâmes encore un
petit couloir. En passant, le garde indiqua une porte sur notre droite et porta
son index à ses lèvres.
    — Gelina
dort, expliqua-t-il.
    Quelques
marches plus loin, il ouvrit une porte sur notre gauche et me poussa à l’intérieur.
    — Gordien
de Rome, annonça-t-il.
    Nous
tournant le dos, un homme en manteau était assis à une table carrée. Un autre
garde du corps se tenait debout à ses côtés. L’homme pivota

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