Lettres - Tome I
que j’aie apporté de bonnes raisons de mon refus. » On loua et la modestie et la formule de cette réponse.
J’ai été amené à cette décision non seulement par l’accord unanime du Sénat, quoique ce motif soit le plus puissant de tous, mais encore par quelques autres raisons d’ordre inférieur, qui sont pourtant des raisons. Je me remémorais que nos ancêtres vengeaient même des hôtes privés, en déposant des accusations de leur propre initiative ; et il ne me paraissait que plus honteux de manquer aux lois de l’hospitalité publique. De plus en me rappelant à quels dangers même je m’étais exposé dans ma première assistance prêtée à ces mêmes peuples de la Bétique, je me croyais obligé de conserver le mérite du premier service par un second. Car ainsi vont les choses, que l’on annule les anciens bienfaits, si l’on n’y met le comble par de nouveaux. Vous avez beau obliger cent fois, si vous refusez une, c’est de ce refus seul qu’on se souviendra. J’étais invité encore par la mort de Classicus qui écartait ce que ce genre d’affaires offre de plus affligeant, le danger que court un sénateur. Je voyais donc mon assistance bénéficier d’autant de reconnaissance que s’il vivait, sans encourir aucun ressentiment. Enfin je faisais le compte que, en m’acquittant de ce ministère encore cette fois, qui était la troisième, il me serait plus facile de me récuser, si le hasard me présentait quelque accusation que je ne dusse pas soutenir ; car toute obligation ayant des bornes, notre complaisance prépare la meilleure excuse à la liberté de nos refus.
Vous connaissez les motifs de ma décision ; il vous reste à vous prononcer pour ou contre ; votre sincérité, si vous ne partagez pas mon avis, ne me fera pas moins de plaisir que votre suffrage, si vous m’approuvez. Adieu.
V. – C. PLINE SALUE SON CHER BÉBIUS MACER.
Pline l’Ancien et ses ouvrages.
Je suis très heureux que la lecture des livres de mon oncle vous passionne au point de vouloir les posséder tous et d’en réclamer la liste complète. Je remplirai le rôle de catalogue et même je vous indiquerai l’ordre de leur composition, car cette connaissance ne déplaît pas non plus aux curieux de lettres {60} .
L’art de lancer le javelot à cheval , un livre ; il l’a composé avec autant de talent que de soin, lorsqu’il était aux armées comme commandant d’une aile de cavalerie.
La vie de Pomponius Secundus , deux livres ; il en était particulièrement aimé ; il écrivit cet ouvrage comme pour s’acquitter d’une dette envers la mémoire de son ami.
Les guerres de Germanie , vingt livres ; il y a raconté toutes les guerres que nous avons soutenues contre les Germains. Il les commença pendant son service en Germanie ; un songe lui en donna l’idée ; pendant son sommeil il vit debout devant lui le fantôme de Drusus Néron, qui, après avoir soumis une grande partie de la Germanie, y mourut ; il lui recommandait de veiller sur sa mémoire et le priait de le sauver d’un injurieux oubli.
L’homme de lettres , trois livres, divisés en six volumes à cause de leur étendue ; il y prend l’orateur au berceau et le conduit à sa perfection.
Les difficultés de la grammaire , huit livres, qu’il écrivit pendant les dernières années du règne de Néron, quand tous les genres d’études un peu libres et un peu sérieuses eurent été rendues périlleuses par la servitude.
La suite d’Aufidius Bassus , trente et un livres.
L’histoire naturelle , trente-sept livres ; ouvrage étendu, savant, presque aussi varié que la nature elle-même.
Vous êtes surpris que tant de volumes et tant de recherches minutieuses aient été menés à bonne fin par un homme si occupé ; vous serez plus étonné encore, quand vous saurez qu’il a plaidé pendant quelque temps, qu’il est mort à cinquante-six ans, et que, dans la période comprise entre ces deux moments, il a été tiraillé et accaparé, tant par les plus hautes fonctions, que par l’amitié des princes. Mais il avait un esprit vigoureux, une ardeur incroyable, une grande puissance de veille. Il commençait ces veilles aux fêtes de Vulcain {61} , non pour les placer sous d’heureux auspices, mais pour allonger le temps de l’étude, et aussitôt la nuit complète ; en hiver dès la septième heure, ou au plus tard dès la huitième, souvent dès la sixième (il est vrai qu’il se livrait à
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