Lettres - Tome I
que Néron périt. Cette pensée me remplit de pitié pour la fragilité humaine. Y a-t-il en effet rien de si limité, de si bref que la vie humaine la plus longue ? Ne vous semble-t-il pas que Néron vivait hier ? Et pourtant de tous ceux qui ont exercé le consulat sous son règne, il n’en reste plus un seul. Mais pourquoi m’en étonner ? Naguère L. Pison, père de ce Pison qui, en Afrique, périt de la main de Valerius Festus, victime du crime le plus abominable, disait souvent qu’il ne voyait plus dans le sénat aucun de ceux dont il avait pris l’avis étant consul. Malgré la multitude des hommes, la longévité a des bornes si étroites, que je crois non seulement excusables, mais plutôt louables, les larmes fameuses versées par un roi. Xerxès, dit-on, après avoir contemplé son immense armée, pleura, à la pensée qu’une fin si prochaine était suspendue sur tant de milliers d’hommes. Mais c’est une raison de plus pour que ces instants fugitifs et périssables, nous les prolongions, sinon par des actions d’éclat (l’occasion en est en d’autres mains), du moins par nos travaux littéraires et, puisqu’il ne nous est pas donné de vivre longtemps, laissons des œuvres qui attestent que nous avons vécu. Vous n’avez pas besoin, je le sais, d’aiguillon ; cependant mon affection pour vous m’invite à vous stimuler même dans votre course, comme vous le faites pour moi. Noble émulation, quand deux amis rivalisent d’exhortations mutuelles pour s’enflammer du désir de l’immortalité. Adieu.
VIII. – C. PLINE SALUE SON CHER SUÉTONE.
La cession officieuse.
Vous montrez votre déférence habituelle envers moi, quand vous mettez tant de circonspection à me prier de transférer le tribunat, que j’ai obtenu pour vous de l’illustre Neratius Marcellus, à Cesennius Silvanus, votre parent. Or si j’étais heureux de vous voir vous-même tribun, je ne le serai pas moins de voir un autre, le devenir grâce à vous. Il ne me paraît guère logique d’envier à celui pour lequel on désire les honneurs le titre de bienfaiteur de sa famille, qui est de tous les honneurs le plus beau.
J’y vois encore cet avantage : puisqu’il est louable soit de mériter, soit de répandre des faveurs, vous allez gagner cette double gloire, du même coup, en conférant à un autre ce que vous avez vous-même mérité. Bien plus ma vanité elle-même y trouvera son compte, je crois, si, grâce à votre exemple, nul n’ignore que mes amis sont en état non seulement d’exercer le tribunat, mais même de le donner. Je consens donc volontiers à votre désir si honorable. Votre nom n’a pas encore été porté sur le rôle ; ainsi il nous est loisible d’y substituer celui de Silvanus. Et je souhaite que votre présent lui fasse autant de plaisir, que le mien vous en a fait. Adieu.
IX. – C. PLINE SALUE SON CHER CORNELIUS MINICIANUS.
Compte-rendu du second procès des habitants de la Bétique.
Je peux enfin vous donner ici le détail de toute la peine que m’a coûté l’affaire de la province de Bétique. Car elle était multiple, aussi les plaidoiries furent-elles nombreuses et diverses. Pourquoi cette diversité, pourquoi plusieurs plaidoiries ? Cecilius Classicus, homme vil et ouvertement pervers, y avait exercé le proconsulat avec autant de cruauté que d’avidité la même année que Marius Priscus l’exerçait en Afrique. Or, Priscus était originaire de la Bétique et Classicus de l’Afrique. D’où ce mot que colportaient les habitants de la Bétique (car souvent la douleur même donne de l’esprit) et qui n’était pas sans saveur : « J’ai prêté la peste, on m’a rendu la peste. » Mais Marius fut poursuivi publiquement par une seule ville et par de nombreux particuliers, tandis que toute une province fondit sur Classicus. Il prévint le procès par une mort fortuite ou volontaire, car cette mort, malgré un mauvais renom, laisse cependant des doutes. Si en effet il paraît vraisemblable qu’il ait voulu quitter la vie, devant l’impossibilité de se justifier, on s’étonne d’autre part qu’il ait cherché à éviter par la mort la honte d’une condamnation, puisqu’il n’avait pas eu honte de commettre des actes condamnables.
La Bétique n’en persistait pas moins à le mettre en accusation, même après sa mort. La loi avait prévu le cas ; mais elle était tombée en désuétude ; on la restaura alors après un long
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