Lettres - Tome II
dignement l’honneur ; il lui rendra sa dignité et sa popularité d’autrefois, aussi grand orateur que celui de jadis était savant jurisconsulte. Adieu.
XXV. – C. PLINE SALUE SON CHER RUFUS.
Le savant ignoré.
Oh ! que de savants soustraits ou cachés à la renommée par leur modestie ou leur amour de la tranquillité ! Et cependant avons-nous à faire un discours ou à donner une lecture, nous ne craignons que ceux qui exhibent leurs œuvres, alors que ceux qui se taisent leur sont par cela même supérieurs, car ils témoignent par le silence tout leur respect pour les plus nobles travaux. C’est par expérience que je vous en parle.
Terentius Junior, après s’être acquitté d’une manière irréprochable des devoirs militaires des chevaliers et même de l’intendance {40} de la province de Narbonne, s’est retiré dans ses terres et a préféré aux honneurs qui l’attendaient un paisible loisir. Ayant été invité chez lui, je le regardais comme un bon père de famille, comme un diligent laboureur, et je me préparais à l’entretenir des sujets que je lui supposais familiers ; j’avais déjà commencé, quand lui, par une conversation fort cultivée, me ramena à la littérature. Quelle élégance dans tous ses propos ! Avec quelle pureté il s’exprime en latin ! Avec quelle pureté en grec ! Car il possède si bien les deux langues, qu’il semble toujours exceller dans celle qu’il parle sur le moment. Que de lectures ! Que de connaissances ! On croirait qu’il vit à Athènes, non dans une maison de campagne. Bref, il a redoublé mon appréhension et m’a induit à redouter moins ces hommes dont je connais la vaste science que ceux qui vivent retirés et pour ainsi dire en paysans. Faites-en de même, je vous le conseille ; il y a en effet dans nos lettres, comme dans les camps, des gens qui sous un costume civil cachent une armure complète, avec le plus généreux talent, que l’on découvre en y regardant de plus près. Adieu.
XXVI. – C. PLINE SALUE SON CHER MAXIMUS.
Les mortels parfaits.
Dernièrement la santé languissante d’un de mes amis m’a inspiré cette réflexion, que nous ne sommes jamais plus vertueux que dans la maladie. Quel est en effet le malade que tourmente l’avarice, ou l’ambition, ou les passions ? On ne porte plus les chaînes de l’amour, on ne convoite plus les honneurs, on ne fait plus cas des richesses, et, quelque peu que l’on possède, on en a assez, pensant qu’on va le quitter. Alors on se souvient qu’il y a des dieux, qu’on est homme, on n’envie personne, on ne s’engoue de personne, on ne méprise personne, et même les médisances n’ont plus de saveur pour notre curiosité. On ne rêve que bains et fontaines. Tel est l’objet de nos soucis, le comble de nos vœux et pour l’avenir, si nous avons le bonheur d’échapper à la mort, nous ne nous proposons plus qu’une vie douce et oisive, c’est-à-dire innocente et heureuse {41} . Je peux donc résumer les enseignements que les philosophes s’épuisent à nous donner avec force paroles, et même avec force volumes, et nous conseiller en peu de mots à vous et à moi de nous conserver, dans la santé, tels que, dans la maladie, nous promettons d’être. Adieu.
XXVII. – C. PLINE SALUE SON CHER SURA {42} .
Les revenants.
Nos loisirs nous donnent à moi la possibilité d’apprendre, à vous celle d’enseigner. Je désirerais donc vivement savoir si vous croyez que les fantômes existent, qu’ils ont une forme propre et quelque puissance divine, ou si ce sont des ombres vaines qui ne tiennent que de notre frayeur leur apparence. Pour moi, ce qui me porte à croire à leur existence, c’est l’aventure arrivée, dit-on à Curtius Rufus. Encore humble et obscur, il avait accompagné le gouverneur de l’Afrique ; au déclin du jour, il se promenait sous un portique ; à ses yeux se présente une figure de femme, d’une taille et d’une beauté surhumaines ; dans sa frayeur il l’entendit dire qu’elle était l’Afrique et qu’elle venait lui prédire l’avenir. « Tu iras à Rome et tu y rempliras les plus hautes charges ; tu reviendras même revêtu du pouvoir suprême dans cette province et tu y mourras. » Toutes ces prédictions s’accomplirent. On ajoute que, comme il abordait à Carthage et débarquait, la même figure s’offrit à lui sur le rivage. Ce qui est certain, c’est qu’il tomba malade et que,
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