Lettres - Tome II
votre amitié, et je l’en crois digne, d’abord à cause de son désir même, et puis à cause de sa propre affection pour vous ; car on ne demande guère cette faveur, sans avoir commencé soi-même. C’est d’ailleurs un homme droit, intègre, paisible et réservé presque outre mesure, si l’on peut ici dépasser la mesure. Je l’ai connu pendant que nous étions ensemble aux armées, mais plus intimement que comme un simple compagnon d’armes. Il commandait à une aile de cavalerie de mille hommes. Je reçus du légat consulaire l’ordre de vérifier les comptes des ailes et des cohortes, et je constatai autant de basse cupidité et de négligence chez certains autres que chez lui de parfaite honnêteté et d’attentive activité. Élevé ensuite aux plus importantes charges d’intendant, aucune occasion ne put le corrompre ni le détourner de son amour inné de la probité. Jamais il ne s’enorgueillit de ses succès, jamais la variété des fonctions ne lui fit démentir son perpétuel renom d’affabilité et il mena ses travaux avec la même force d’âme qu’il supporte maintenant la retraite. Il l’a interrompue et quittée quelque temps pour se couvrir de gloire, car notre cher Corellius chargé de l’achat et du partage des terres que l’on doit à l’empereur Nerva le prit comme collaborateur. Quelle gloire en effet d’avoir été préféré par un si grand homme à qui s’offrait le choix le plus large. Quant à la déférence, à la fidélité qu’il garde à ses amis, vous pouvez vous fier aux testaments de beaucoup d’entre eux et en particulier à celui d’Annius Bassus, homme d’une haute situation, dont Pollion sauvegarde et perpétue la mémoire avec tant de reconnaissance et tant d’éloges, qu’il a même publié un livre sur sa vie (car il n’a pas moins de goût pour les lettres que pour les autres arts). C’est une conduite pleine de noblesse et digne d’estime à cause de sa rareté même, car la plupart ne gardent le souvenir des morts que pour s’en plaindre. Accueillez donc cet homme si désireux de votre amitié, prenez la main qu’il vous tend, ou plutôt attirez-le à vous et aimez-le comme si vous lui deviez de la reconnaissance. Car dans le commerce de l’amitié celui qui a commencé le premier est non pas le débiteur, mais le créancier. Adieu.
XXXII. – C. PLINE SALUE SON GRAND-PÈRE PAR ALLIANCE FABATUS.
Un affranchissement d’esclaves.
Je suis charmé que l’arrivée de mon cher Tiro vous ait fait plaisir ; mais je suis surtout ravi que la présence du proconsul ait fourni, comme vous me l’écrivez, l’occasion de faire un grand nombre d’affranchissements. Je désire en effet que notre patrie s’accroisse en toutes choses, mais principalement en citoyens. C’est pour une ville le plus solide rempart. Et je suis heureux aussi, sans que j’y mêle de la vanité, mais j’en suis heureux, que, ajoutez-vous, on nous ait comblés, vous et moi, de remerciements et d’éloges. Car, ainsi que le dit Xénophon, la louange est une délicieuse musique pour nos oreilles, surtout quand on croit la mériter. Adieu.
XXXIII. – C. PLINE SALUE SON CHER TACITE.
Confidence.
J’ai le pressentiment, et ce n’est pas un pressentiment trompeur, que vos histoires seront immortelles. Aussi ai-je, je l’avoue sans fard, le plus vif désir d’y trouver place. Car si d’ordinaire nous prenons soin que notre portrait soit de la main de l’artiste le plus habile, ne devons-nous pas souhaiter que nos travaux aient la chance de rencontrer un historien et un panégyriste tel que vous ? Je vous signale donc un de mes actes, qui ne peut certes échapper à votre si minutieuse attention, puisqu’il est relaté dans les actes publics {45} ; je vous le signale cependant, pour vous convaincre du plaisir que j’éprouverai si ce fait, dont le péril a accru l’intérêt, reçoit de votre talent, de votre témoignage un nouvel éclat.
Le sénat m’avait désigné avec Hérennius Senecio comme avocat de la province de Bétique contre Bebius Massa, et après la condamnation de Massa, il avait décrété que ses biens seraient confiés à la garde de l’état. Senecio ayant flairé que les consuls allaient écouter les réclamations, vint me trouver et dit : « Avec la même entente, dit-il, que nous avons soutenu l’accusation dont nous étions chargés, allons trouver les consuls et demandons-leur de ne pas permettre qu’on dissipe
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