Lettres - Tome II
Je songe combien c’est chose grave de livrer un ouvrage aux mains du public et je ne puis me persuader qu’il ne soit pas utile de retoucher souvent et en s’entourant de nombreux amis, ce que l’on destine à plaire à tout le monde et toujours. Adieu.
XVIII. – C. PLINE SALUE SON CHER CANINIUS.
Le don patriotique.
Vous me consultez sur le moyen de garantir même après vous une somme que vous avez offerte à nos compatriotes en vue d’un festin public. Cette consultation m’honore, mais le conseil n’est pas aisé. Verserez-vous le montant à la cité ? Il est à craindre qu’il ne soit dilapidé. Donnerez-vous des terres ? Devenues domaine public, elles seront négligées. Je ne vois rien de plus sûr que ce que j’ai fait moi-même. En garantie de cinq cent mille sesterces que j’avais destinés à une fondation alimentaire {35} pour des garçons et des jeunes filles de naissance libre, j’ai fait à l’agent du fisc de la ville une vente fictive par mancipation d’une de mes terres, dont la valeur dépassait beaucoup la donation ; puis je l’ai reprise, chargée d’une redevance annuelle envers l’état de trente mille sesterces. Par ce moyen le fonds donné à l’état est en sûreté, le revenu certain, et la terre, donnant un rendement bien supérieur à la redevance, trouvera toujours un maître qui veuille la faire valoir. Je sais bien que j’ai pris sur ma fortune beaucoup plus que je ne parais avoir donné, puisque la charge de cette redevance ôte beaucoup de valeur à une très belle terre. Mais il convient de donner la préférence aux intérêts généraux sur les intérêts particuliers, aux choses éternelles sur celles qui périssent, et de prendre plus de précautions pour assurer son bienfait que son propre bien. Adieu.
XIX. – C. PLINE SALUE SON CHER PRISCUS.
La maladie d’une femme célèbre.
Je suis vivement inquiet de la maladie de Fannia. Elle l’a contractée en soignant la vestale Junia, d’abord volontairement, car elle est sa parente, puis sur l’invitation même des pontifes. Car lorsque les vestales sont obligées par une maladie grave de quitter l’atrium de Vesta {36} , on les confie aux soins et à la garde de matrones. Or c’est en s’acquittant avec dévouement de ce devoir que Fannia a été atteinte à son tour de ce mal. Les accès de fièvre persistent, la toux augmente, la maigreur est extrême, et la faiblesse très grande. Seuls son courage et son énergie restent entiers, bien dignes de son mari Helvidius, de son père Thraséas ; tout le reste s’en va et m’accable non seulement d’inquiétude, mais encore de douleur. Je suis désolé de voir cette femme admirable enlevée aux yeux de nos compatriotes qui peut-être n’en reverront plus jamais de pareille. Quelle pureté ! Quelle vertu ! Quelle dignité ! Quelle constance ! Deux fois elle suivit son mari en exil, une troisième elle fut elle-même bannie à cause de son mari. En effet Senecio était mis en accusation pour avoir composé un livre sur la vie d’Helvidius, et ayant dit dans sa défense qu’il l’avait fait à la prière de Fannia, Mettius Carus demanda à celle-ci sur un ton menaçant si elle l’en avait prié : « Oui », répondit-elle ; si elle lui avait donné des notes pour son livre : « Oui » ; si sa mère le savait « Non » ; enfin elle ne laissa échapper aucune parole inspirée par la peur. Bien mieux ; ce livre même, quoique interdit par un sénatus-consulte arraché par la contrainte et la terreur de ce temps malheureux, elle le sauva dans la confiscation de ses biens, le garda avec elle et emporta dans son exil la cause même de cet exil. Quel charme et quelle douceur aussi ! Combien enfin, par un don bien rare, elle méritait à la fois l’amour et le respect. Aurons-nous désormais un tel modèle à proposer à nos épouses ? Y aura-t-il une autre femme pour nous donner à nous autres hommes de pareils exemples de courage, une femme dont la vue, dont les paroles nous remplissent d’autant d’admiration que celles dont nous lisons l’histoire ? Et maintenant il me semble que cette maison même chancelle et que, ébranlée jusqu’à ses fondements, elle est prête à s’écrouler, bien que Fannia laisse des descendants ; car par quelles vertus, par quelles nobles actions pourront-ils effacer l’idée que leur race a fini avec cette illustre femme ?
Quant à moi, ce qui accroît encore mon affliction et
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