Lettres - Tome II
gardes-meubles, où elles restaient oubliées.
À votre tour, si vous avez chez vous quelque nouvelle digne d’une lettre, ne reculez pas devant la peine d’écrire. {55} Car d’une part la nouveauté charme les oreilles des hommes, et d’autre part les exemples nous enseignent à vivre. Adieu.
XIX. – C. PLINE SALUE SON CHER MAXIMUS.
Le charme des belles-lettres.
Je trouve dans les lettres et joie et consolation ; il n’est rien de si agréable qu’elles ne rendent plus agréable, rien de si triste qui ne devienne par elles moins triste. Aussi bouleversé par la mauvaise santé de ma femme, par les maladies graves de mes gens, et même par la mort de quelques-uns, j’ai recours à l’unique adoucissement de la douleur, à l’étude, qui me donne le sentiment plus vif de mes maux, mais aussi le courage de les supporter. Or, j’ai l’habitude, quand je dois livrer quelque ouvrage au public, de le soumettre au jugement de mes amis, et surtout au vôtre. Ainsi donc, si vous avez quelquefois accordé votre attention à mes écrits, appliquez-la tout entière à celui que vous recevrez avec cette lettre car je crains que la mienne, à cause de mon abattement, n’ait été insuffisante. J’ai bien pu imposer à mon chagrin d’écrire, mais d’écrire avec un esprit libre et content, je ne l’ai pu. Or, comme la joie naît de l’étude, l’étude profite de la gaieté. Adieu.
XX. – -C. PLINE SALUE SON CHER GALLUS.
Le lac Vadimon.
Nous n’hésitons pas à nous mettre en route, à franchir les mers pour voir des curiosités, qui, placées sous nos yeux, nous laissent indifférents, soit que, par la volonté de la nature, nous soyons peu soucieux de ce qui est près de nous, et passionnés pour ce qui en est très éloigné, soit que tous les désirs s’émoussent, quand il est aisé de les satisfaire, soit enfin que nous renvoyions, sous prétexte que nous verrons souvent ce que nous avons la facilité de voir chaque fois qu’il nous plaira de le remarquer. Quelle que soit la raison, il y a beaucoup de curiosités soit dans notre ville, soit dans les environs, que nous ne connaissons ni de vue, ni même par ouï-dire ; or, si elles se trouvaient en Grèce, en Égypte, en Asie, ou dans tout autre pays fertile en merveilles et habile à la réclame, nous les connaîtrions à fond soit par des récits, soit par des lectures multiples, soit par des visites {56} .
Ce qui est sûr c’est ce qui m’est arrivé dernièrement à moi-même : il y avait une chose dont je n’avais jamais entendu parler et que je n’avais jamais vue, or le même jour j’en ai entendu parler et je l’ai vue. Mon grand-père par alliance m’avait pressé d’aller visiter ses domaines d’Amerina. Tandis que je les parcourais, on me montre au-dessous un lac appelé Vadimon {57} , et en même temps on m’en raconte mille prodiges. J’allai sur le bord même. Le lac est arrondi en forme d’une roue couchée et offre une circonférence parfaite, sans aucune baie, sans aucune sinuosité ; tout est mesuré, régulier, comme creusé et taillé par la main d’un artiste. La couleur de ses eaux est plus pâle que l’azur marin, plus foncée que le bord verdoyant du lac ; elles ont une odeur de soufre, un goût d’eaux minérales, et la vertu de souder les fractures. Sa petite étendue est suffisante cependant pour qu’il soit sensible aux vents et forme des vagues. Il n’admet aucune barque, car il est sacré, mais on y voit flotter des îles, verdoyantes de roseaux et de joncs, et toutes les plantes que produit un marais assez fertile et le bord même du lac. Chacune de ces îles a sa forme et sa grandeur ; toutes ont les bords escarpés, parce que, se heurtant souvent à la rive ou entre elles, elles se rongent mutuellement. Toutes ont la même hauteur, la même légèreté, car terminées en forme de carène, leur base plonge peu profondément. On l’aperçoit de tous côtés et elle est à la fois flottante et immergée. Parfois se joignant et se soudant elles ressemblent à la terre ferme, parfois des vents contraires les dispersent, quelquefois enfin, paisibles, dans le calme, elles flottent séparées. Souvent les petites s’attachent aux grandes comme des barques aux vaisseaux de charge, souvent petites et grandes engagent entre elles comme une lutte de vitesse ; puis de nouveau toutes poussées au même point s’y arrêtent et y forment un promontoire ; elles laissent voir le lac ou
Weitere Kostenlose Bücher