Lettres
« Nécromant ». On y peint aussi bien des saints et des vierges de Guadalupe que des fresques à contenu révolutionnaire sur les escaliers monumentaux du Palais national .
Que l’on vienne du monde entier voir combien le Mexique respecte la liberté d’expression !
Vous avez l’obligation de démontrer aux peuples civilisés que vous n’êtes pas un vendu, que le Mexique a versé son sang et qu’il continue à lutter pour libérer le pays des colonisateurs, et ce malgré tous leurs dollars.
L’heure est venue de ne plus tourner autour du pot et de faire valoir votre personnalité de Mexicain, de Président de votre peuple et d’homme libre.
Un mot de vous à messieurs les gérants d’hôtels sera un exemple de poids dans l’histoire de la liberté gagnée pour le Mexique.
Vous ne devez pas les laisser faire de la démagogie crapuleuse en jouant avec la dignité de l’un de vos décrets et avec le patrimoine culturel du pays tout entier.
Si, dans un moment aussi décisif, vous n’agissez pas comme un authentique Mexicain et vous ne défendez pas vos propres décrets et droits, attendez-vous à voir brûler les livres de science et d’histoire, à voir les œuvres d’art détruites à coups de pierres ou sur des bûchers, à voir les hommes libres se faire expulser du pays, à voir des tortures, des prisons et des camps de concentration !! Je peux vous assurer que très bientôt et sans faire le moindre effort nous afficherons un superbe fascisme made in Mexico !
Vous m’avez téléphoné une fois, justement depuis l’atelier de Diego Rivera, pour me saluer et pour me rappeler que nous avions été camarades à l’École préparatoire nationale.
À présent je vous écris pour vous saluer et pour vous rappeler que nous sommes avant tout mexicains et que nous ne laisserons personne, et encore moins des hôteliers version yankee, saisir au collet la culture du Mexique, racine essentielle de la vie du pays , en dénigrant et en méprisant les valeurs nationales essentielles au monde entier, en transformant une peinture murale de portée universelle en une puce en habits (Mexican curious).
Frida Kahlo (141)
Lettre à Diego Rivera
4 décembre 1948
Mon enfant adoré,
Je suis chez Cuquita, car je pensais que tu ne viendrais pas hier soir. J’ai encaissé le chèque car j’ai eu besoin d’acheter les médicaments de d’Harnoncourt et je n’avais plus un sou. (Tu me devais 50 pesos et j’en ai donné 40 à Ruth.) Alors pardonne-moi d’avoir pris les devants, mais je n’avais pas d’autre solution.
Tu trouveras ci-joints 685 (six cent quatre-vingt-cinq) pesos.
Le chauffeur de Cuca va me ramener à la maison. Tu vas manger avec moi ? J’ai très envie de te voir, car sans toi la vie ne vaut que dalle.
La camionnette est dans un sale état, c’est à peine si elle démarre. J’espère qu’elle ne mettra pas trop de temps pour arriver. Retrouvons-nous à midi à la maison. Tu es bien arrivé ? Tu n’es pas trop fatigué par le voyage ?
J’espère te retrouver heureux et en bien meilleure santé.
Moi, je suis toujours aussi maigrichonne, patraque et con… templative.
Ta petite
Fisita
Portrait de Diego (142)
Je peindrai ce portrait de Diego avec des couleurs que je ne connais pas : les mots, il sera donc pauvre. De plus, j’aime Diego de telle sorte que je ne peux pas être « spectatrice » de sa vie, je peux seulement en faire partie, ce qui me conduira peut-être à exagérer ce qu’il y a de positif dans sa personnalité unique, en essayant d’estomper ce qui, même de loin, peut le blesser. Ce ne sera pas un portrait biographique : je considère qu’il est plus sincère d’écrire sur le Diego que je crois avoir connu un peu durant ces vingt années vécues auprès de lui. Je ne parlerai pas de Diego comme de « mon époux », car ce serait ridicule ; Diego n’a été, ne sera jamais « l’époux » de personne. Comme d’un amant non plus, car il va bien au-delà des frontières sexuelles ; et si je parlais de lui comme d’un fils, je ne ferais que décrire ou peindre ma propre émotion, presque mon autoportrait, pas celui de Diego. Les choses étant claires, je m’efforcerai de dire l’unique vérité : la mienne, pour ébaucher, dans la limite de mes capacités, son image.
SA FORME : avec sa tête asiatique sur laquelle naît une chevelure sombre, si maigre et si fine qu’elle semble flotter dans les airs,
Weitere Kostenlose Bücher