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Lettres

Titel: Lettres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frida Kahlo
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Diego est un grand enfant, immense, au visage aimable et au regard un peu triste. Ses yeux globuleux, sombres, très intelligents et grands, sont à grand-peine retenus – presque hors de leurs orbites – par des paupières gonflées et protubérantes, comme celles des batraciens   ; ils sont très écartés, plus que d’autres yeux. Ils permettent à son regard d’embrasser un champ visuel plus large, comme s’ils avaient été conçus pour un peintre des espaces et des foules. Entre ces yeux, si distants l’un de l’autre, on devine l’invisible de la sagesse orientale, et il est rare que disparaisse de sa bouche de Bouddha, aux lèvres charnues, son sourire ironique et tendre, la fleur de son image.
    En le voyant tout nu, on pense immédiatement à un enfant grenouille, debout sur ses pattes arrière. Sa peau est d’un blanc verdâtre, comme celle d’un animal aquatique. Seuls ses mains et son visage sont plus sombres, parce qu’ils ont été brûlés par le soleil.
    Dans le moelleux prolongement de ses épaules juvéniles, étroites et rondes, des bras féminins s’achèvent sur de merveilleuses mains, toutes petites et finement dessinées, sensibles et subtiles comme des antennes qui communiquent avec l’univers tout entier. On a peine à croire que ces mains ont servi à peindre autant et qu’elles travaillent encore inlassablement.
    De sa poitrine il faut dire que   : s’il avait débarqué sur l’île gouvernée par Sapho, il n’aurait pas été exécuté par ses guerrières. La sensibilité de ses seins merveilleux l’aurait rendu admissible. Bien que sa virilité, spécifique et étrange, le rende également désirable sur les terres des impératrices avides d’amour masculin.
    Son ventre, énorme, lisse et tendre comme une sphère, repose sur ses jambes puissantes, belles comme des colonnes, qui se terminent sur de grands pieds, lesquels s’ouvrent vers l’extérieur, en angle obtus, comme pour englober toute la terre et se tenir sur elle invinciblement, tel un être antédiluvien duquel émergerait, au-dessus de la taille, un exemplaire de l’humanité future, à deux ou trois mille ans de nous.
    Il dort en position fœtale et lorsqu’il est éveillé, il bouge avec une élégante lenteur, comme s’il vivait dans un milieu liquide. Sa sensibilité, exprimée dans son mouvement, donne à penser que l’air est plus dense que l’eau.
    La forme de Diego est celle d’un monstre adorable, que la grand-mère, ancienne Magicienne, la matière nécessaire et éternelle, la mère des hommes et de tous les dieux inventés par ces derniers dans leur délire, suscités par la peur et par la faim, LA FEMME – et parmi elles, MOI – aimerait toujours tenir dans ses bras comme un nouveau-né.
    SON CONTENU Diego est en marge de toute relation personnelle, limitée et précise. Contradictoire comme tout ce qui incite à la vie, il est à la fois caresse immense et décharge violente de forces puissantes et uniques. On le vit en dedans, comme la graine que renferme la terre, et au-dehors, comme les paysages. Certains attendront probablement de moi un tableau personnel de Diego, « féminin », anecdotique, amusant, rempli de plaintes, voire d’un certain nombre de ragots, de ces ragots « décents » que les lecteurs pourraient interpréter ou s’approprier au gré de leur curiosité malsaine. Peut-être espèrent-ils entendre de ma bouche combien « il est douloureux » de vivre avec un homme comme Diego. Mais je ne crois pas que les rives d’un fleuve souffrent de le voir couler, ou que la terre souffre parce qu’il pleut, ni que l’atome souffre de décharger son énergie… Pour moi, tout a une compensation naturelle. Dans mon rôle, difficile et obscur, d’alliée d’un être extraordinaire, j’ai la même récompense qu’un point vert dans une masse de rouge   : la récompense de l’ équilibre . Les peines ou les joies qui régissent la vie dans cette société pourrie par les mensonges dans laquelle je vis ne sont pas les miennes. Si j’ai des préjugés, si les actes d’autrui me blessent, même ceux de Diego Rivera, je me considère responsable de mon incapacité à voir clairement   ; et si je n’en ai pas, je dois admettre qu’il est naturel que les globules rouges luttent contre les blancs sans le moindre préjugé et que ce phénomène est seulement synonyme de bonne santé.
    N’attendez pas de moi que je dévalorise la fantastique personnalité de Diego,

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