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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Yéchoua.
    — Pardon ?
    — Au moment du vote, alors que je comptais l’épargner, Yéchoua s’est tourné vers moi, comme s’il m’entendait penser. Ses yeux m’ont dit clairement : « Yoseph, ne fais pas cela, vote la mort avec les autres. » Je ne voulais pas lui obéir, mais résonnait de plus en plus fort au fond de mon crâne ce que son regard me criait. Il ne me lâchait plus, j’étais sa proie. Alors, je lui ai cédé. J’ai voté la mort.
    — Vous n’en aviez pas besoin de cette unanimité ?
    — Non, la majorité aurait suffi.
    — Alors ?
    — Yéchoua le désirait ainsi.
    Ainsi Yoseph, comme Claudia Procula mon épouse, s’était rallié à l’idée que Yéchoua tenait à mourir. L’admiration fait faire d’étranges calculs. Parce qu’ils admiraient Yéchoua, et parce qu’ils n’admettaient pas sa mort stupide, Claudia et Yoseph devaient croire désormais que Yéchoua l’avait provoquée. Leur héros demeurait un héros s’il avait souhaité et maîtrisé sa mort. Quelles contorsions ridicules ! Quel refus de voir le monde tel qu’il est ! Pour ne pas perdre l’estime d’eux-mêmes, Claudia et Yoseph devaient continuellement grandir le magicien.
    Je quittai Yoseph.
    Au moment de passer le portail, je me retournai vers lui.
    — Je ne voudrais pas être à ta place, Yoseph. Yéchoua était un homme singulier, illuminé mais un brave homme, qui n’a jamais fait de mal à personne et ne s’en est jamais pris à Rome. J’ai tout fait pour lui épargner une exécution injuste. Je ne m’y suis soumis qu’après le choix de la foule, et en m’en lavant ostensiblement les mains. J’ai la conscience en paix. Mais toi, comment as-tu pu, au sein du sanhédrin, alors que tu pouvais voter non, qu’aucune pression ne te contraignait à rejoindre la majorité, comment as-tu pu condamner un innocent ? Tu as tué un homme juste !
    Yoseph ne parut pas ébranlé par mon discours. Il me répondit simplement :
    — Si Yéchoua avait été un homme, j’aurais condamné un homme juste. Mais Yéchoua n’était pas un homme.
    — Ah bon ? Et qui d’autre ?
    — Le Fils de Dieu.
    J’abandonnai la discussion et rentrai à Jérusalem. Vois-tu où je me trouve, mon cher frère ? Sur une terre où, non seulement on voit des Fils de Dieu dans la rue, au milieu des pastèques et des melons, mais où encore on les condamne, ces Fils de Dieu, à périr crucifiés sous un soleil ardent ! Sans doute est-ce le meilleur moyen de se gagner les faveurs du Père !…
    En tout cas me voici sans nouvelle piste, retenu à Jérusalem pour courir après un cadavre qui se décompose, mais que j’ai intérêt à reconfier officiellement aux vers avant que son absence ne pourrisse davantage les esprits de Palestine. Souhaite-moi bonne chance et porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    Claudia, mon épouse, a importé au plus profond de la Palestine les raffinements de Rome. Elle parvient à organiser ici ces dîners qui font toute la douceur de vivre, où le temps glisse aussi vite que le vin dans les gorges, où les conversations tournent la tête tant elles sont vives, variées, aériennes, bref ces nuits brillantes et capiteuses entre le Tibre et les étoiles qui nous donnent le sentiment d’être au centre du monde, qui nous font aimer Rome, adorer Rome, regretter Rome, et qui transforment toute existence hors ses murs en exil.
    Hier soir, profitant du fait que nous restions au palais, Claudia a improvisé une de ces réceptions dont elle a le secret. Chaque invité se croit l’invité d’honneur. Chaque plat semble nouveau. Chaque conversation donne l’impression d’être intelligente. Ces illusions sont distribuées comme des cartes par la maîtresse de maison. Elle sait flatter n’importe qui, lui faire dire ce qui lui tient à cœur – ne serait-ce que pour qu’il n’y revienne plus –, faire rebondir les autres, s’étonner, admirer. Elle choisit ses convives comme ses plats : singuliers, variés, épicés. Elle stimule les papilles et les esprits par touches rapides et, parce qu’elle ne laisse jamais rien traîner ou s’appesantir, les mets passent comme les conversations tandis que, de son lit de table, elle en règle discrètement le service.
    Combien, par comparaison, me semblent grossières les réceptions de notre enfance, mon cher frère… Te souviens-tu ? Un seul plat, une seule conversation ! On ne pouvait pas offrir plus rustique ! On s’arrêtait

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