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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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loin d’abolir la distance entre nous deux, cela avait construit un mur de silence. Le jeune homme s’était fermé.
    — Pourquoi te fais-tu passer pour Yéchoua ?
    Il me regarda sans comprendre, l’air authentiquement étonné. Je commençai à me demander si les gens n’avaient pas pris Yohanân pour Yéchoua sans même qu’il s’en doutât.
    — Yohanân, écoute-moi. Tu as toujours eu une vague ressemblance avec Yéchoua et, pour la cultiver, tu te rases la barbe. Excellente idée. Tu noircis tes paupières au charbon pour te fatiguer et te vieillir. Tu te caches sous un capuchon, tu imites sa voix, et, lorsque tu sens que ton interlocuteur est disposé à faire la confusion, tu montres quelques instants ton visage dans la pénombre.
    — Non.
    — Si.
    — Sinon, pourquoi aurais-tu fait cela, toi, un Juif pieux ? Un Juif pieux ne se rase pas !
    Yohanân éclata de rire.
    — Je n’ai pas rasé ma barbe pour ressembler à Yéchoua mais pour échapper à la surveillance de tes hommes. Tu nous as interdit, à nous, les disciples, de remettre les pieds à Jérusalem. Or je savais qu’il allait se passer beaucoup de choses ici. J’ai négligé ton veto et décidé de me cacher. Le capuchon poursuit le même but. Oui je me dissimule, oui je vis en clandestin, mais je ne me fais pas passer pour Yéchoua.
    — Pourquoi te rendais-tu chez sa mère ?
    — Yéchoua aimait profondément sa mère et je suis certain qu’il va venir lui annoncer la Bonne Nouvelle. J’aimerais être là, tapi dans un coin, pour assister à son apparition.
    Ce garçon me déconcertait. Il pensait violemment tout ce qu’il disait, incapable d’une feinte.
    — Je t’en supplie, Pilate, laisse-moi aller chez Myriam. Je ne veux pas manquer cela.
    Il m’avait pris les mains et son regard m’implorait.
    — Plus tard, Pilate, plus tard, je ferai autant de prison que tu voudras, tu pourras même me crucifier, peu m’importe, du moment que j’aurai vu Yéchoua. Laisse-moi l’attendre chez Myriam.
    Je m’éloignai pour qu’il me lâche. Il tomba à terre, toujours suppliant.
    Puisque ce garçon ne mentait pas, je devais maintenant vérifier la justesse de ma deuxième hypothèse : il n’était pas un mystificateur volontaire, mais un mystificateur inconscient.
    — Tu nies t’être fait passer pour Yéchoua ?
    — Bien sûr.
    — As-tu rencontré dernièrement Salomé, la fille d’Hérode ?
    — Oui.
    — Et Myriam de Magdala ?
    — Oui.
    — Et les deux pèlerins d’Emmaüs ?
    — Bien sûr.
    Il avouait sans malice. Il ignorait l’effet qu’il avait produit sur eux.
    — Que penses-tu de leur témoignage ?
    — Je les envie. Oh ! Pilate ! je t’en supplie, laisse-moi rejoindre Yéchoua chez sa mère. Je n’ai déjà plus besoin de le voir par moi-même pour y croire, mais je serais si heureux de le retrouver. Laisse-moi partir. Je m’engage à me livrer.
    Je le laissai s’époumoner.
    Il finit par se taire.
    Comprenant que je le maintiendrais dans ce cachot, lentement, il se remit sur le sol, en croix, et recommença à prier. Je le voyais s’apaiser, son souffle redevenant régulier.
    Déjà, les pâleurs de l’aube glissaient sur la mousse des soupiraux. Songeant qu’il serait peut-être utile que je me repose avant d’affronter une nouvelle journée, je me levai pour quitter la prison.
    — Je t’aime, Pilate.
    Yohanân avait prononcé ces mots en me voyant partir. J’en demeurai glacé.
    — Je t’aime, Pilate.
    Je me retournai vers Yohanân avec l’envie de l’insulter pour le faire taire.
    — Cesse de parler comme lui !
    — C’est lui qui me l’a appris.
    — Comment peux-tu prétendre m’aimer ? Je t’enferme en prison ; dans quelques heures, je te livrerai au sanhédrin ; tu ne reverras peut-être jamais le jour ; tu prétends m’aimer ? M’aimer, moi, qui ai aussi fait exécuter ton maître !
    — Il a demandé sur la croix qu’on te pardonne.
    — Moi ?
    — Toi comme les autres. Il a murmuré : « Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
    Sans m’en rendre compte, je me jetai contre la grille, l’attrapai à travers les barreaux et me mis à le secouer violemment.
    — Pas moi, tu m’entends, pas moi ! Tu n’as pas à m’aimer ! Tu n’as pas à me pardonner ! Je n’en veux pas !
    — Ne sois pas si orgueilleux. Yéchoua t’aimait.
    C’en était trop. De son cachot, Yohanân me menaçait. Il devenait le

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