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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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en courant vers ses camarades leur annoncer la disparition du cadavre, celui-là même qui voulait y voir l’intervention de l’ange Gabriel, Yohanân avait coupé sa barbe et frotté ses paupières au charbon. Ainsi modifié, il ressemblait vaguement à son maître…
    Il ne se débattait même pas, nous considérant avec plus de surprise que de terreur.
    J’étais tellement habité de sentiments contradictoires, à la fois soulagé de l’avoir arrêté et écœuré par cette machination, que je ne prononçai pas un mot.
    Nous l’avons ramené au fort Antonia et jeté dans une geôle au sous-sol. En ce moment, il gît sous mes pieds. Je l’interrogerai pendant la dernière veille, lorsque j’éprouverai un peu moins de dégoût pour des comportements si fourbes.
    Te souviens-tu de cette chute que je fis, lorsque j’avais huit ans, quand nous jouions sur le toit de la villa et que je me pris les pieds dans une tuile ? Miraculeusement, je n’eus pas mal. Stupidement, je n’avais pas eu peur avant et je n’eus peur qu’après. Je passai de longues heures à trembler, craignant après coup une mort que je venais d’éviter. Ce soir, je suis dans le même état : au lieu de me réjouir d’avoir mis fin à l’affaire, je frémis en songeant aux dangers que j’ai écartés.
    Tu auras le récit de mon interrogatoire demain. En attendant, porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    Qu’est-ce qu’une surprise ? Un événement inattendu qui provoque en nous de la peine ou de la joie ; c’est bref, une surprise ; on s’en remet toujours, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Mais comment appeler une surprise sans fin ? Une flèche qui nous fige dans la perplexité ?
    Hier soir, je descendis au cachot.
    Il n’y avait que Yohanân et la nuit.
    Le jeune homme se tenait couché sur le ventre, les bras en croix, le visage sur la dalle. Une lune indifférente lâchait quelques rayons avares à travers les barreaux.
    Il était aussi long, aussi grand que Yéchoua. Sa tunique blanche épousait ses larges épaules, sa taille étroite, sa croupe de marcheur, ses jambes hautes, nerveuses…
    J’avais longtemps erré dans le fort endormi. J’avais froid. Je n’aime pas ces nuits glaciales de printemps qui ne tiennent pas les promesses du jour. Sans me manifester, je contemplais les mains de Yohanân, paumes plaquées au sol, des mains pâles, plus douces que le duvet des joues.
    — Approche, Pilate, puisque tu meurs d’envie de me parler.
    J’ai sursauté. Sa voix avait résonné sous les voûtes sans que rien de lui ne bougeât.
    — Approche.
    Je souris. Yohanân avait poussé le mimétisme jusqu’à parler comme Yéchoua, avec ce timbre d’effusion tendre, cette familiarité insolite qui refusait de distinguer un empereur d’un berger.
    J’avançai vers la grille et murmurai :
    — Quelle étrange position pour prier…
    — Il se tenait ainsi lorsqu’il est mort. En croix, comme un criminel. C’est ainsi que je prierai désormais. Tout à l’heure, j’ai presque senti les clous à mes poignets.
    Soudain, il rassembla ses membres, fit demi-tour sur lui-même et s’assit face à moi. Ses bras entouraient ses genoux et ses yeux noirs brillaient tandis que ses longs cheveux devenaient bleu de cendre sous la lumière morte de la lune.
    — Je voudrais lui ressembler le plus possible. Et l’imiter. Tant que ma vie durera.
    À la sincérité éperdue qui vibrait dans sa voix, je me pris à soupçonner que Yohanân était devenu fou. Peut-être se prenait-il pour son maître ? Peut-être était-ce malgré lui, sans intention maligne, qu’il avait abusé les témoins ? Peut-être n’avait-il même pas eu conscience de les induire en erreur ?
    Je devais mener l’interrogatoire.
    — Quoi que le sanhédrin ait dit, j’ai toujours pensé que ton Yéchoua était un homme droit, juste et sincère.
    — Alors toi aussi, Pilate, tu as recueilli la lumière de sa parole ?
    Je déteste cette rhétorique juive, ces images exaltées, pain quotidien de leur pensée nébuleuse. Je le remis à sa place.
    — Non. Simplement, j’ai reçu une éducation grecque et j’en suis resté curieux des sages.
    — Mais Yéchoua n’est pas un sage !
    — Si, un sage maladroit, un sage entêté, comme Socrate, qui meurt de n’avoir pas voulu démentir.
    — Yéchoua n’est pas un sage !
    J’avais pensé l’amadouer en lui faisant ce compliment énorme – comparer son maître à Socrate – mais,

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