L'hérétique
l’oreille arrachée par l’éperon. Alors, dans un soudain accès de
rage, le nouveau comte attrapa l’homme sanguinolent par le col. Il le fit se
redresser, le tint une seconde à bout de bras. Puis, avec toute la puissance
d’un tournoyeur aguerri, il le projeta en arrière. Le blessé hurla en tombant
dans le feu. Ses vêtements s’embrasèrent. Les spectateurs sursautèrent.
Certains détournèrent les yeux tandis que l’homme tentait de s’extraire des
flammes. Au risque de se brûler lui-même, son maître le renvoya dedans.
L’assassin poussa un nouveau hurlement. Ses cheveux s’embrasèrent à leur tour,
formant une couronne flamboyante autour de sa tête. L’homme se convulsait dans
des spasmes épouvantables. Rapidement, il s’effondra dans la partie la plus
chaude du feu et ne bougea plus.
Joscelyn se tourna vers l’évêque.
— Satisfait ?
Puis, sans attendre la réponse, il s’éloigna en brossant de la
main les braises sur ses manches.
Mais l’évêque n’en avait pas fini. Il retrouva le comte dans
la grande salle, qui avait maintenant été débarrassée de ses livres et de ses
rayonnages. Assoiffé après ces petits exercices matinaux, le nouveau maître des
lieux se versait du vin rouge. Il tourna un regard acide vers le prélat.
— Les hérétiques sont à Astarac, dit l’évêque.
— Il y en a probablement partout, répondit l’autre
négligemment.
— Je parle de la fille qui a tué le père Roubert,
insista le dignitaire, et de l’homme qui a refusé d’exécuter nos ordres et de
la brûler.
Joscelyn se souvenait de la jeune femme aux cheveux d’or
dans son armure argentée.
— Ah, cette fille…
Le ton de sa voix trahissait un soudain intérêt. Il vida sa
coupe, s’en versa une autre.
— Comment savez-vous qu’ils y sont ?
questionna-t-il enfin.
— Michel y était. Les moines le lui ont dit.
— Ah oui… Michel !
Il se leva et marcha droit vers l’ancien écuyer de son
oncle, les yeux brûlants de haine.
— Michel qui raconte des histoires ! s’enflamma
Joscelyn. Michel qui se précipite auprès de l’évêque au lieu de venir voir son
nouveau seigneur !
Le garçon recula précipitamment et ne dut son salut qu’au
prélat, qui s’interposa entre lui et le comte.
— Michel est maintenant à mon service, indiqua-t-il, et
lever la main sur lui, c’est attaquer l’Église.
— Donc si je le tue comme il le mérite, ricana le
colosse, vous allez me faire brûler, c’est ça ?
Il cracha vers l’adolescent, puis se détourna de lui.
— Que voulez-vous enfin ? demanda Joscelyn, irrité,
au prêtre.
— Je veux que l’on capture les hérétiques.
La violence du nouveau comte rendait l’évêque nerveux, mais
il rassembla tout son courage et poursuivit :
— Je demande au nom de Dieu et au service de Sa Sainte
Église que vous envoyiez des hommes arrêter la bégharde connue sous le nom de
Geneviève et l’Anglais qui dit s’appeler Thomas. Je veux qu’on les amène ici et
qu’on les brûle.
— Mais pas avant que je leur aie parlé.
Une voix inconnue, aussi tranchante que glaciale, venait de
s’élever. L’évêque et Joscelyn – à dire vrai, tous les présents dans la
salle – se tournèrent vers la porte, où un étranger venait d’apparaître.
En quittant la cour, Joscelyn avait bien perçu un bruit de
sabots, mais il n’y avait pas prêté attention. Depuis le début de la matinée,
les allers et venues n’avaient pas cessé au château.
Maintenant, il voyait bien que des étrangers étaient arrivés
à Bérat, et une demi-douzaine d’entre eux se tenaient dans l’embrasure de la
porte de la grande salle. Celui qui venait de parler était leur chef. Mince,
sec, doté d’un long visage cireux et dur encadré de cheveux sombres, il était
plus grand encore que Joscelyn et tout de noir vêtu : bottes, chausses,
pourpoint, cape, chapeau à larges bords, sans oublier un fourreau d’épée, pareillement
gainé de noir. Même ses éperons étaient de métal noir, et Joscelyn, qui avait
autant d’esprit religieux dans son âme qu’un inquisiteur possédait d’instinct
de grâce, ressentit un impérieux besoin de faire le signe de croix.
Quand l’étranger ôta son chapeau, il le reconnut.
L’Harlequin ! Le mystérieux chevalier qui s’était fait
tant d’argent – à défaut d’avoir la gloire – dans les lices de toute
l’Europe, l’homme que Joscelyn n’était jamais parvenu
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