L'hérétique
de Bérat.
Abandonnés par leurs chevaliers et les hommes d’armes, presque tous les
arbalétriers de Joscelyn suivirent à pied, comme ils pouvaient. Une grande
partie de la population de Castillon s’en alla chercher ailleurs un refuge
contre la peste. Bon nombre des cavaliers de Vexille disparurent eux aussi,
comme les quelques artilleurs qui n’avaient pas encore été touchés par la
peste. Abandonnant sur place Cracheuse d’Enfer, ils s’approprièrent les
chevaux des malades et s’éloignèrent au grand galop.
Des hommes de Joscelyn encore sains, seul messire Henri
Courtois décida de rester. Il avait déjà un certain âge, n’avait plus peur de
la mort, et plusieurs des hommes qui le servaient depuis tant d’années gisaient
là, agonisant. Il ignorait ce qu’il pouvait faire pour eux, mais il ne les
abandonnerait pas.
De son côté, Guy Vexille se rendit à l’église Saint-Callic.
Il ordonna aux femmes qui priaient la statue du saint et celle de la Vierge
Marie de sortir. Il voulait être seul avec Dieu et, même s’il pensait que
l’église était un lieu où l’on pratiquait une foi corrompue, c’était encore une
maison de prières. Agenouillé devant l’autel, il contempla le corps du Christ
martyr sur la grande croix du chœur. De longues traînées de sang peint
coulaient des terribles plaies. Guy fixait ces ruisselets écarlates, sans
prêter attention à une araignée qui tissait sa toile entre le stigmate du coup
de lance dans le flanc du Sauveur et sa main gauche tendue.
— Tu nous punis, dit-il à haute voix, Tu nous accables,
mais si nous accomplissons Ta volonté, je sais que Tu nous épargneras.
Seulement, quelle était la volonté de Dieu ? C’était
bien là le problème. Il cherchait la réponse, il attendait un signe en
oscillant d’avant en arrière sur ses genoux meurtris.
— Réponds-moi, exhorta-t-il. Dis-moi ce que je dois
faire.
En réalité, il savait déjà ce qu’il devait faire : il devait
s’emparer du Graal et libérer son pouvoir. Mais là, dans la pénombre de la
petite église, sous une peinture représentant Dieu trônant au milieu des
nuages, il espérait qu’un signe, un message particulier, allait venir. Et il
vint… même s’il ne fut pas celui qu’il attendait.
Il avait guetté une voix dans les ténèbres, un commandement
divin qui l’aurait assuré de la victoire. Au lieu de cela, il entendit des pas
lourds remonter la nef dans son dos. Quand il se retourna, il vit que ses
hommes, les valides qui ne l’avaient pas abandonné, étaient venus prier avec
lui. Dès qu’ils s’étaient rendu compte que leur chef se trouvait dans l’église,
ils étaient accourus, l’un après l’autre. Ils s’agenouillèrent derrière lui et
Guy sut que de tels hommes ne pouvaient être vaincus. Le temps était venu
d’aller chercher le Graal.
Il envoya une demi-douzaine de ses fidèles fouiller la ville
avec l’ordre de débusquer le moindre soldat, le moindre arbalétrier, le moindre
chevalier ou homme d’armes encore capable de marcher.
— Ils doivent tous s’armer ! Dans une heure,
rassemblement près du canon !
L’Harlequin regagna ses propres quartiers, sourd aux cris
des malades et de leurs familles. Son propre serviteur avait été terrassé par
le mal, mais l’un des fils de la maison dans laquelle il s’était installé était
encore vaillant. Guy lui ordonna de l’aider à se préparer.
D’abord, il enfila ses chausses et son gambison [32] de cuir. Les vêtements étaient si ajustés que Vexille devait demeurer immobile
pendant que le garçon, maladroitement, nouait les lacets dans le dos du
justaucorps. Puis l’adolescent attrapa des morceaux de lard et frotta le cuir
pour le graisser et permettre à l’armure de bouger facilement. Sur son
gambison, l’Harlequin enfila un court haubergeon de mailles, une protection
supplémentaire pour la poitrine, le ventre et l’aine. Celui-ci aussi avait
besoin d’être graissé. Puis, plate par plate, l’armure noire fut assemblée. En
premier furent positionnés les quatre cuissards, les plates arrondies pour les
cuisses. Sous ces derniers, le garçon attacha les grèves jusqu’à la cheville.
Les articulations de Vexille étaient protégés par des genouillères et ses pieds
par des plates d’acier accrochées aux bottes, elles-mêmes fixées aux grèves. Il
sangla autour de sa taille une courte jupe de cuir sur laquelle étaient
accrochées de lourdes plaques
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