L'hérétique
hommes d’armes qui
venaient de gravir les murs de Castillon d’Arbizon et de s’emparer du château.
La grosse femme du geôlier, qui baragouinait un peu de français, cria aux
Anglais de tuer la fille.
— C’est une bégharde, vociféra-t-elle, en commerce avec
le diable !
Messire Guillaume d’Evecque était d’accord.
— Fais-la monter dans la cour, dit-il à Thomas, et je
trancherai moi-même sa damnée tête d’hérétique…
— Elle doit brûler, indiqua le jeune homme. C’est ce
que l’Église a décidé.
— Mais qui va le faire ?
L’archer haussa les épaules.
— Les sergents de ville, sans doute. Ou nous ? Je
ne sais pas.
— D’accord, mais si tu ne me laisses pas la tuer
maintenant, dit Guillaume en sortant sa dague, au moins faisons taire sa
maudite bouche !
Il tendit le couteau à Thomas.
— Va lui trancher la langue.
Le jeune homme ignora la dague, mais fila vers les
souterrains. À l’amorce de l’escalier raide, il dut soulever la robe de moine
qu’il n’avait pas encore trouvé le temps d’enlever pour descendre. La bégharde
hurlait en français aux autres captifs qu’ils allaient tous mourir et que le
diable danserait sur leurs os au rythme d’une musique jouée par ses démons. Le
faux dominicain alluma une lanterne de joncs sur les vestiges tremblotants
d’une autre torche. Puis il se dirigea vers le cachot de l’hérétique, dont il
tira les deux verrous.
La condamnée se calma en entendant le glissement des pênes.
Mais, quand il poussa la lourde porte, elle se précipita à l’autre extrémité de
la cellule. Jake avait suivi son chef en bas des marches. Apercevant la fille
dans la faible lumière, il ricana grivoisement.
— Je peux vous la tenir tranquille, offrit-il.
— Remonte et va dormir, Jake, ordonna l’autre.
— Non. J’ai pas besoin.
— Va dormir ! gronda Thomas, dont la colère était
montée d’un cran en découvrant une prisonnière à l’air si vulnérable.
Si elle semblait si vulnérable, c’est qu’elle était nue. Nue
comme un œuf fraîchement pondu, mince comme une flèche, d’une pâleur mortelle,
pleine de puces, les cheveux sales et ébouriffés, les yeux hagards, sinistres,
funèbres. Elle était assise sur une paille crasseuse, les bras serrant ses
genoux ramenés contre sa poitrine pour dissimuler l’essentiel de sa nudité. La
malheureuse inspira, comme si elle rassemblait ses dernières réserves de
courage.
— Tu es anglais ? demanda-t-elle en français sur
un ton qui confinait quasiment à l’affirmation.
Elle avait la voix rauque d’avoir tant crié.
— Je le suis, admit Thomas.
— Mais un prêtre anglais ne vaut pas mieux qu’un autre.
— Probablement, reconnut-il.
Il déposa la lanterne sur le sol et s’assit près de la porte
ouverte, à cause de la puanteur insupportable à l’intérieur de la cellule.
— Je veux que tu t’arrêtes de crier parce que tes cris
dérangent les gens.
Elle écarquilla les yeux en l’entendant formuler cette
requête.
— Demain, ils vont me brûler, alors tu crois que ça me
perturbe que mes cris dérangent des idiots ce soir ?
— Tu devrais te soucier de ton âme.
Ces pieuses paroles n’obtinrent aucune réponse de la
bégharde. La mèche de joncs brûlait mal. Le pavillon de corne de la loupiote
transformait la faible lueur en un jaune tremblotant et lépreux.
— Pourquoi t’ont-ils laissée nue ?
— Parce que j’ai arraché une bande de ma robe et que
j’ai essayé d’étrangler le geôlier avec elle.
Elle avait parlé calmement, mais avec une flamme de défi
dans les yeux, comme si elle s’attendait que Thomas la désapprouve.
Pourtant, s’il parvint à dissimuler son amusement, l’idée
d’une fille si mince s’attaquant au volumineux gardien le fit sourire
intérieurement.
— Quel est ton nom ? demanda-t-il.
L’air de défi hantait encore les traits de la fille.
— Je n’en ai pas. Ils ont fait de moi une hérétique et
ont pris mon nom. J’ai été jetée hors de la chrétienté. Je suis déjà à
mi-chemin du prochain monde.
Elle détourna ses yeux du jeune homme avec une expression
d’indignation. Thomas se retourna, vit que Robbie Douglas se trouvait dans
l’encadrement de la porte à demi ouverte. L’Écossais contemplait la bégharde
d’un air émerveillé, voire révérencieux. L’archer regarda plus attentivement la
prisonnière et constata que sous les brins de paille et la
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