L'hérétique
crasse incrustée
elle était très belle. Ses cheveux ressemblaient à de l’or pâle. Elle avait des
traits volontaires, et sa peau ne portait pas la moindre trace de vérole. Son
front était haut, sa bouche pleine, ses joues creuses. Un visage remarquable,
se dit Thomas. De son côté, Robbie la fixait, presque bouche bée, comme
hypnotisé. Gênée par ce regard direct, la fille pressa ses genoux encore
davantage sur ses seins.
— Remonte ! ordonna Thomas à son ami.
L’archer avait l’impression que son camarade était en train
de tomber amoureux, comme d’autres tombent malades ou affamés. L’expression de
son visage ne laissait guère de place au doute : il avait été subjugué par
l’apparence de la fille, avec la puissance d’une lance s’écrasant sur un écu.
Robbie Douglas fronça les sourcils, comme s’il ne comprenait
pas le commandement de son chef et camarade.
— Je voulais te demander… commença-t-il avant de
s’interrompre.
— Me demander quoi ?
— À Calais, le comte ne t’a-t-il pas dit de ne pas
m’emmener ?
Dans les circonstances présentes, la question pouvait
sembler assez incongrue, mais Thomas considéra qu’elle méritait une réponse.
— Comment le sais-tu ?
— Le prêtre, Buckingham, il me l’a dit.
Le fils naturel du père Ralph se demanda pourquoi son ami
avait parlé à ce prêtre. Et alors il comprit que le jeune homme essayait simplement
de lancer n’importe quelle conversation pour pouvoir rester près de la dernière
fille en date dont il était désespérément tombé amoureux.
— Robbie, elle va être brûlée demain matin.
L’Écossais se dandina, mal à l’aise.
— Pourquoi ? Elle n’a pas besoin de l’être.
— Pour l’amour de Dieu, si ! protesta Thomas.
L’Église l’a condamnée.
— Alors pourquoi es-tu là ?
— Parce que je commande, ici. Parce que quelqu’un
devait lui demander de se calmer.
— Je peux le faire, dit l’autre avec un sourire.
Mais quand il vit que Thomas, le visage grave, ne répondait
pas, son sourire se transforma en une grimace renfrognée.
— Alors réponds-moi, pourquoi m’as-tu laissé venir en
Gascogne ?
— Parce que tu es mon ami.
— Buckingham croit que je vais voler le Graal et que je
vais le ramener en Écosse.
— Nous devons d’abord le trouver, rappela Thomas.
Robbie ne l’écoutait plus. Il regardait simplement
passionnément la fille blottie dans l’angle opposé de la pièce.
— Robbie ! tonna encore une fois son commandant.
Elle va être brûlée demain.
— Alors peu importe ce qui lui arrive ce soir, répondit
l’autre sur un ton de défi.
L’Anglais dut combattre la colère qui le gagnait.
— Laisse-nous seuls, Robbie.
— C’est son âme qui t’intéresse ?… Ou sa
chair ?
— Va-t’en ! claqua Thomas avec encore plus de
force qu’il n’aurait voulu.
Surpris par cette réaction, son camarade plissa deux fois
les yeux avant de s’éloigner.
La fille n’avait pas compris la conversation en anglais,
mais elle avait bien identifié le désir dans les yeux de l’Écossais et croyait
maintenant le reconnaître aussi chez Thomas.
— Tu me veux pour toi tout seul, moinillon ?
demanda-t-elle en français.
Thomas ignora la question sarcastique.
— D’où viens-tu ?
Elle ne répondit pas immédiatement, comme si elle hésitait sur
l’attitude à adopter. Puis elle haussa les épaules.
— De Picardie.
— Cela fait une longue route depuis le nord. Comment
une fille de Picardie arrive-t-elle en Gascogne ?
De nouveau, elle marqua un temps d’hésitation. Elle devait
avoir quinze ou seize ans, estima Thomas, ce qui la rendait trop vieille pour
le mariage. Il remarqua aussi ses yeux étrangement perçants, qui le mettaient
relativement mal à l’aise : il lui semblait qu’elle pouvait regarder
jusque dans les tréfonds de son âme.
— Avec mon père, indiqua-t-elle finalement. C’était un
jongleur et un cracheur de feu.
— J’ai vu de tels hommes.
— Nous allions où nous voulions et nous gagnions de
l’argent dans les foires. Mon père faisait rire les gens et je ramassais les
pièces.
— Et ta mère ?
— Elle est morte.
Elle avait répondu sans émotion, comme si elle voulait
montrer qu’elle ne pouvait même pas se souvenir d’elle.
— Mon père est mort lui aussi, ici, il y a six mois.
Alors je suis restée.
— Pourquoi ?
Pour bien faire sentir que la réponse était si
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