L'hérétique
Ce qui
était hérétique un jour, disait le père Ralph, devenait la doctrine de l’Église
le lendemain, et Dieu, ajoutait-il, n’avait pas besoin que des hommes se
chargent de brûler leurs prochains s’ils étaient vraiment coupables et s’il le
voulait, Dieu était parfaitement capable de faire ça Lui-même.
Pendant des heures, Thomas était resté allongé sans pouvoir
trouver le sommeil. Torturé intérieurement, il se creusait l’esprit pour
trouver une solution. Mais il y avait au moins une chose dont il était
maintenant parfaitement certain : il désirait farouchement Geneviève.
Assurément, ce n’était pas un doute théologique qui avait sauvé la vie de la
fille, mais le désir qu’il éprouvait pour elle… et également la sympathie qu’il
éprouvait à l’endroit d’une autre âme qui avait enduré elle aussi les tortures
de l’Église.
D’ordinaire franc et affable, Robbie faisait tout pour
contrôler sa colère.
— Thomas, commença-t-il calmement, rappelle-toi
pourquoi nous sommes ici et demande-toi si Dieu va nous bénir et nous accorder
le succès si nous comptons une hérétique parmi nous…
— Je n’ai pas vraiment pensé à autre chose ces derniers
temps, répondit l’interpellé.
— Certains hommes parlent déjà de s’en aller, l’avertit
Guillaume. Ou… ou de trouver un autre commandant.
Geneviève se décida enfin à intervenir :
— C’est moi qui vais partir. Je vais retourner dans le
Nord. Je ne vous encombrerai plus.
— Et combien de temps penses-tu pouvoir survivre ?
lui demanda Thomas. Si déjà mes hommes ne te tuent pas dans la cour, les
habitants de Castillon te massacreront dans la rue.
— Alors que dois-je faire ?
— Viens avec moi, lui ordonna l’Anglais avant de se
diriger vers une niche près de la porte où pendait un crucifix.
Il le décrocha et revint vers la fille, qui n’avait pas
bougé, et les deux hommes.
— Viens ! répéta-t-il en prenant la main de
Geneviève.
Il l’entraîna vers la cour du château, où étaient rassemblés
la plupart de ses hommes. Ils attendaient le résultat de la démarche de
Guillaume et Robbie auprès de leur chef. Les soldats se mirent à murmurer
gravement en voyant apparaître l’hérétique.
Thomas savait qu’il jouait une partie serrée et qu’il
risquait de perdre leur allégeance. Il était bien jeune –
trop ? – pour être le chef de tant d’hommes aguerris, mais tous
avaient voulu le suivre, et le comte de Northampton lui avait fait confiance.
C’était sa première épreuve. Il avait espéré la connaître au combat, mais elle
venait maintenant. Et même s’il n’avait pas choisi le moment, il devait la
prendre à son compte. Alors il se planta en haut des marches qui surplombaient
la cour et attendit que tous les hommes le regardent.
— Messire Guillaume ! cria Thomas au Normand qui
arrivait derrière lui.
Il parlait haut et fort pour bien être perçu de tous.
— Va voir l’un des prêtres de la ville et demande-lui
une hostie. Une hostie consacrée. L’une de celles qu’il garde pour les derniers
rites, l’extrême-onction.
Guillaume d’Evecque hésita :
— Et s’il refuse ?
— Tu es un soldat. Pas lui.
Une partie des hommes sourirent en entendant la réponse de
leur chef.
Messire Guillaume regarda subrepticement Geneviève en
dodelinant de la tête. Puis il fit signe à deux hommes d’armes de
l’accompagner. Ils hésitèrent, car ils n’avaient pas envie de rater ce que
Thomas allait dire. Mais Guillaume leur hurla dessus et ils le suivirent en
ville.
Thomas leva le crucifix à bout de bras.
— Si cette fille est une créature du diable, dit-il,
alors elle ne pourra pas regarder cette croix et elle ne pourra pas davantage
supporter de la toucher. Si je la tiens devant ses yeux, elle deviendra
aveugle. Si je touche sa peau avec ce crucifix, elle se mettra à saigner. Vous
savez tout cela ! Vos prêtres vous l’ont dit !
Certains hommes acquiescèrent de la tête et tous observèrent
bouche bée Thomas en train d’approcher le crucifix des yeux ouverts de
Geneviève. Il ne se passa apparemment rien et l’archer posa alors la croix
contre le front de la jeune fille. Certains soldats retenaient leur
respiration. La plupart d’entre eux semblaient troublés de voir que ses yeux
restaient indemnes et que sa peau claire et lisse demeurait intacte.
— Elle est aidée par le diable, grogna un homme.
— Sottises !
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