L'histoire secrète des dalaï-lamas
quarante-huit ans, Tsering Dolma, l’aînée de vingt-huit ans et Jetsun Pema, huit ans. Ils projettent un exil définitif à Xining, la capitale de la province chinoise du Qinghai, voire de les éliminer [403] ...
Cette année-là, Tenzin Gyatso va sur ses treize ans. Son frère aîné Thubten Jigmé Norbu, vingt-six ans, première réincarnation de la famille sous le nom de Taktser Rinpoché, rapporte les cendres de leur père au monastère de Kumbum. Son frère, Gyalo Thondup, dix-neuf ans, se trouve à Nankin avec son beau-frère. Si un malheur arrivait à Lhassa, il pourrait facilement trouver refuge auprès des nationalistes du Guomindang. Il y a aussi Lobsang Samten, seize ans : lui vit auprès de sa mère dans la maison familiale de Lhassa, avec Tenzin Choegyal, deux ans, la troisième réincarnation du clan sous le nom de Ngari Rinpoché. Il est le seizième et dernier enfant de celle que les Tibétains appellent Amala , la Grande Mère.
Le temps presse... Les complices de Tagdra Rinpoché sont ces mêmes tulkus, ces mêmes aristocrates qui, corrompus par les régences successives, le sont aussi par les nationalistes du Guomindang. Ce sont les mêmes qui, à coups de milliers de yuans, se retourneront, en 1950, quand les communistes s’empareront du pouvoir en Chine et, que Mao Zedong, devenu président de la République populaire de Chine, lancera ses troupes sur Lhassa.
Peu de solutions s’offrent finalement à Amala. La toute première serait de faire appel au gouvernement nationaliste de Nankin. Mais c’en serait terminé avec la nation tibétaine et probablement la lignée des dalaï-lamas, voire d’un dalaï-lama chef temporel du Tibet.
Une autre solution, plus sage, serait d’en appeler aux divinités. On le sait, les Tibétains sont superstitieux ; ils feront davantage confiance aux dieux et bouddhas pour sauver le dalaï-lama et sa famille. Pour le camp de Tagdra Rinpoché et de ses proches, si les divinations leur sont favorables, il leur suffira d’expliquer au peuple que Tenzin Gyatso n’était pas le vrai dalaï-lama mais un usurpateur... Bref, il ne leur resterait qu’à désigner l’adolescent pressenti pour le remplacer : Ditru Rinpoché, un proche du vieux régent et de son clan. Pour les autres, autour de la Grande Mère, la confirmation du jeune souverain ne manquera pas de renforcer son pouvoir, jusqu’aux prochains soubresauts de l’Histoire.
Les oracles d’État se réunissent enfin, le jour de la cérémonie étant fixé par les lamas astrologues. Autour d’eux, il y a Tagdra, le kashag, les hauts dignitaires gelugpas, les personnalités laïques. Tout le monde est là, comploteurs et corrompus, comme les fidèles et amis du clan des Yapshis, la famille du dalaï-lama.
C’est au régent d’officier. Et Tagdra va utiliser un procédé spécifique de divination. Il va permettre soit de confirmer Tenzin Gyatso dans son statut de chef temporel du Tibet soit de le répudier à jamais. Le dalaï-lama est donc en danger de mort [404] .
La tension est à son paroxysme durant cette cérémonie se déroulant dans le temple de Namgyal. Elle s’accompagne d’offrandes, de prières, de rituels.
Voici l’heure de vérité.
Tagdra inscrit les noms de Ditru et de Tenzin Gyatso sur deux feuilles de papier. Quelques secondes encore... puis il les pique chacune dans une boule de tsampa d’égale grosseur... Encore un petit moment et il les dépose dans son propre bol de santal. Le temps s’arrête. Les boules tournent dans le bol, d’un mouvement régulier, de plus en plus vite. Une jaillit : « Tenzin Gyatso », indique le papier une première fois.
Tagdra recommence le tirage : « Tenzin Gyatso », indique la boule, une deuxième fois au deuxième tirage.
Au dernier tirage au sort, le nom de « Tenzin Gyatso » sort une troisième fois. Plus de doute possible, les divinités ont parlé : Tenzin Gyatso est bien le quatorzième dalaï-lama [405] .
Mais l’affaire est à peine close que Tagdra Rinpoché et ses partisans se tournent vers un événement plus grave encore : l’invasion du Tibet par la République populaire de Chine et son annexion à la Mère-Patrie.
Invasion sur fond de trahisons
L’expédition nazie d’Ernst Schäfer en 1938 et 1939 et la mission américaine de Brooke Dolan et Ilya Tolstoï en 1942 et 1943 contiennent en germe vingt années d’histoire – de 1951 et 1971 –, longtemps ignorées, de la guerre secrète et de la
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