L'histoire secrète des dalaï-lamas
plus tard, encadré par le général Fan Ming, ses soldats et une centaine de personnes.
Afin que les deux autorités spirituelles ne se rencontrent pas, la caravane du dalaï-lama précède celle du panchen-lama de quatre ou cinq jours.
À Chengdu, première ville chinoise après la frontière, on les embarque, toujours séparément, dans des avions : direction Xian, l’ancienne capitale impériale chinoise, où ils atterrissent le 1er septembre 1954. Le voyage se poursuit en train : douze heures de trajet jusqu’à Pékin, où le dalaï-lama et le panchen-lama sont accueillis par les vice-présidents Zhu De et Zhu Enlai. Or, depuis le 15 juillet, la première Assemblée nationale populaire a réélu Mao Zedong à la présidence de la République populaire de Chine ; Zhou Enlai est devenu le chef du gouvernement ; Deng Xiaoping, secrétaire général du PCC, cumule les fonctions de vice-Premier ministre et de vice-président de l’Assemblée et du Conseil national de défense.
Afin d’éviter que Tenzin Gyatso et Choekyi Gyaltsen ne communiquent sans contrôle, ils sont logés dans des palais différents. Le dalaï-lama est installé au dernier étage d’une résidence de trois étages au pont de la Rivière impériale, Amala et les siens, au second. Le panchen-lama et les autres dignitaires du bouddhisme tibétain séjournent, eux, au palais de la Libre Vue.
La première rencontre avec Mao Zedong a lieu le 11 septembre 1954. C’est au cours de cette entrevue que le président chinois s’est déclaré honoré d’accueillir, en la personne du dalaï-lama, l’émanation de Chenrézig, le bodhisattva de la compassion, et, en celle du panchen-lama, l’émanation d’Amithabba, le bodhisattva de la Lumière infinie. Tout en leur rappelant qu’il était lui-même à la fois le Fils du Ciel et l’émanation de Wenshu, c’est-à-dire Manjushri, le bodhisattva de la connaissance. En l’espace de quelques minutes, Mao vient donc de reprendre à son compte l’héritage des dynasties impériales chinoises. Puis il se tourne résolument vers le futur, en évoquant le partage du Tibet en trois grandes régions politiques : à partir du Potala, le dalaï-lama contrôlera Lhassa et le centre du pays ; depuis Tashilhunpo, le panchen-lama aura en charge l’ouest du pays ; enfin, Ngabo Ngawang Jigmé et son comité de libération de Chamdo dirigeront le Kham. C’est le 22 avril 1956 que l’organisme chargé de mettre en oeuvre les réformes prônées par Mao verra le jour : le CPRAT aura pour président le quatorzième dalaï-lama ; pour premier vice-président, le dixième panchen-lama ; et, pour deuxième vice-président, le général Zhang Guo-hua.
Un homme sous influence
À Pékin, le dalaï-lama multiplie les rencontres, avec les dirigeants de la Chine populaire et les cadres incontournables du PCC. Il s’entretient aussi avec Nikita Khrouchtchev [415] , le premier secrétaire du parti communiste soviétique venu en Chine, discute avec U-Nu [416] , premier Premier ministre de la Birmanie indépendante, et, surtout, avec Jawarharlal Nehru. La Chine contestant certaines régions frontalières de l’Aksai Chin (NEFA), le pandit vient en effet pour éviter un conflit armé avec son puissant voisin, de renoncer à ses droits extraterritoriaux sur le Tibet, qu’il reconnaît finalement comme « une région chinoise ». La convention tripartite de Simla, signée le 3 juillet 1914, cédait toute la région montagneuse du Sud-Est pour former la North-East Frontier Agency (NEFA) – l’actuel État indien de l’Arunachal Pradesh ; la signature de la convention et d’un accord commercial entre la Grande-Bretagne et le Tibet plaçait ce dernier au rang de nations indépendantes. Mais, en ces années 1950, en normalisant ses relations avec Pékin, Nehru va pouvoir bénéficier du soutien de Zhou Enlai à la conférence de Bandung.
En 1954, à Pékin, le dalaï-lama est donc un chef d’État de dix-neuf ans qui n’ignore rien de l’évolution du monde et vient en voisin. Mais va rester prisonnier ! Il a comme conseiller son frère Lobsang Samten, âgé de vingt-deux ans, formé, avec le dalaï-lama, à la géopolitique par... Heinrich Harrer.
Un autre de ses frères, Gyalo Thondup, vit, depuis 1952, à Kalimpong, en Inde. Il a adressé un télégramme à Mao pour lui annoncer qu’il ne rejoindrait pas sa famille à Pékin. Protégé de Reting Rinpoché, le régent connu pour ses
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