L'histoire secrète des dalaï-lamas
autonome du Tibet, de même que le dalaï-lama, qualifié d’« incorrigible chien errant à la solde d’étrangers réactionnaires [427] », est, lui aussi, démis de la présidence du comité. Quatre jours après cette sanction, Zhou Enlai en personne lui propose de se repentir. Le panchen-lama refuse et est aussitôt assigné à résidence dans sa demeure pékinoise, sise au premier étage du 23, rue Dong Jiao Min, à quelques pas de l’Académie chinoise des Sciences sociales, avant d’être condamné à quinze années d’emprisonnement.
Le sort du dixième panchen-lama va empirer au moment de la Révolution culturelle de 1966. Incarcéré à la prison de Qin Cheng, à Pékin, Choekyi Gyaltsen, qui a un temps partagé le sort du dissident chinois Wei Jingsheng, auteur de la Cinquième Modernisation et autres écrits du Printemps de Pékin [428] , ne sortira de prison qu’en 1977. Rétabli dans ses fonctions, il mourra en 1989.
Force est de comparer la situation des deux maîtres incontournables de l’école Gelug du bouddhisme tibétain. Les Tibétains disent que les dalaï-lamas et les panchen-lamas sont aussi inséparables que le Soleil et la Lune. Dans la nuit du 16 au 17 avril, sur le chemin de l’exil, Tenzin Gyatso avait eu une vision, qu’un journaliste français de Paris Match , dans son article du 18 avril 1959, retranscrivait sous le titre surprenant, « Du Toit du monde aux Indes, le dalaï-lama est guidé par la Jeanne d’Arc du Tibet » : « Une prêtresse de bouddha, vêtue de la robe en poils de yack et pieds nus, demande à voir le dalaï-lama. Quand elle eut relevé son capuchon, il la reconnut. C’était Rhipierdorje, la première femme-soldat du Tibet, capitaine des forces féminines dans la troupe de la résistance, (...) venait, en effet, prévenir le dalaï-lama que les Chinois se tenaient prêts à l’arrêter et que tout était prêt pour sa fuite. » Il n’était pas le seul à Tezpur, la capitale de l’Assam [429] , pour accueillir en héros le souverain tibétain. Ce 18 avril, parmi cette foule de plusieurs milliers de personnes se trouve Heinrich Harrer, qui, dans Life , racontera ses retrouvailles avec Tenzin Gyatso : « J’avais eu tort de m’inquiéter, car lorsque sa Jeep s’approcha de moi, il me fit des signes et me sourit, ravi de me reconnaître. Lorsqu’il descendit de voiture, mon inquiétude se mua en stupéfaction. Il avait tellement grandi ! (...) J’étais également surpris de le voir chausser ses lunettes en public, même si je lui avais suggéré de le faire lorsqu’il avait quinze ans [430] . »
Pendant ce temps, Choekyi Gyaltsen, aux mains des communistes depuis l’âge de onze ans, passe, lui, pour un traître, un lama rouge, entièrement à la solde de Pékin. Or, il s’avère que le panchen-lama est l’autorité religieuse qui s’est le plus opposée aux exactions des Chinois au Tibet entre 1951 et 1962. Durant cette période, il ne cesse de parcourir les régions du Kham et de l’Amdo alors qu’il vit encore au monastère de Kumbum, puis visite le Tsang, aussitôt revenu dans son monastère de Tashilhunpo. Souvenons-nous de ce 18 mai 1962, où il remit à Zhou Enlai une pétition en huit points. Il mettait le doigt sur les problèmes les plus sensibles de la politique communiste au Tibet : la réforme agraire, l’éducation, la santé, la fin de la liberté religieuse, les transferts de population, les avortements forcés. Autant de remises en cause que les Chinois ne pouvaient pas supporter.
Dans les Soixante-dix mille Caractères , le panchen-lama part en guerre contre l’interdiction de pratiquer une religion, qu’il s’agisse du bouddhisme, de l’islam ou du christianisme : « Si l’on prive une nationalité de sa langue, de ses vêtements et de ses coutumes, alors cette nationalité disparaîtra et se transformera en une autre nationalité. Comment pouvons-nous garantir que les Tibétains ne seront pas transformés en une autre race ?» En 1962, les critiques de Choekyi Gyaltsen à propos de la politique antireligieuse des communistes chinois sont très mal perçues par Pékin. Le panchen-lama soutient en effet les tentatives de réforme des monastères, mais met aussi en accusation pour leurs abus les gauchistes tibétains, qui font fi des instructions gouvernementales. D’un autre côté, grande est sa crainte que le Parti communiste chinois ne veuille éradiquer toute forme de religion au Tibet :
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