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L'homme au ventre de plomb

L'homme au ventre de plomb

Titel: L'homme au ventre de plomb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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ou révélait, au fond de réduits, les
crânes rangés des morts plus anciens.

    Après deux
ou trois détours, ce qui les environnait disparut dans
l'ombre. Le regard était désormais absorbé par
un flot de lumière tombant à la verticale du puits des
morts. Sur la dalle de marbre où étaient habituellement
déposés les défunts gisait, disloqué
comme une poupée de chiffon, un corps sans vie apparente.
Nicolas s'approcha et pria le frère d'éclairer la
scène, ce qu'il fit avec force tremblements. Agacé, le
jeune homme se saisit de la lanterne, la posa près du corps et
demanda au frère d'aller chercher du secours, un brancard et
un médecin.

    Resté seul,
il considéra avec attention le corps et ses alentours. Vêtue
d'une robe de satin noire - tenue de deuil pour son fils ou volonté
de passer inaperçue – la comtesse de Ruissec semblait
comme cassée, sur le dos, les deux bras ouverts ; la tête,
dissimulée par des voiles noirs maintenus par un gros peigne
de jais, faisait un angle étrange et horrible avec le reste du
corps. Le doute n'était pas permis.

    Nicolas
s'agenouilla et souleva délicatement le voile. Le visage de la
vieille femme apparut tourné de manière anormale vers
la gauche ; il était blâme, avec un peu de sang aux
lèvres, et les yeux ouverts. Il posa sa main à la base
du cou, aucune pulsation n'était sensible. Il sortit un petit
miroir de poche qu'il plaça devant la bouche ; il demeura
vierge de toute vapeur. Nicolas, avec douceur et respect, ferma les
yeux de la vieille dame. Il frémit : la peau était
encore tiède. Il palpa le corps sans le bouger. Il n'y avait
trace d'aucune autre blessure que cette rupture évidente de la
nuque.

    Il se releva et
récapitula ses constatations, qu'il prit le soin de noter sur
son petit calepin. La comtesse paraissait être tombée du
puits des morts. Celui-ci était donc ouvert. Pourquoi ?
Était-ce l'habitude ?

    Au vu de la
disposition du puits, il y avait deux possibilités : soit Mme
de Ruissec, dans la semi-pénombre du sanctuaire et sans doute
distraite par la perspective de son rendez-vous, n'avait pas vu le
trou béant et avait chu par accident. Mais alors, songea
Nicolas, les deux ou trois toises de profondeur auraient dû
occasionner des fractures aux jambes ou une plaie au visage, compte
tenu du léger rebord du puits et du fait que la tête
entraîne le corps. Celui-ci, de plus, aurait dû se
trouver sur le ventre. Or, Mme de Ruissec était sur le dos,
jambes intactes. Soit elle était tombée en arrière,
mais pour cela elle devait se trouver entre le puits des morts et le
chœur, ou en train d'admirer le tableau de la présentation
du Christ au Temple. Dans ce cas, la position du corps s'expliquait.
Il restait que la circonférence du puits et son rebord
auraient dû accrocher le corps, et notamment la tête. Il
vérifia sous la nuque : aucune blessure n'apparaissait.

    En se relevant, il
aperçut sur une aumônière de fils et de perles,
que Mme de Ruissec portait au bras gauche, un petit carré de
papier imprimé. Il ne l'avait pas remarqué jusque-là.
Il le saisit et l'approcha de la lanterne. Sa surprise fut grande de
découvrir un billet pour une représentation de la
Comédie-Italienne.

    Il vérifia
que l'aumônière était bien fermée. De
fait, le cordon coulissant était coincé dans la main
crispée, et rien n'aurait pu s'en échapper. Il le
dégagea et, avec ce tremblement qui le prenait toujours
lorsqu'il entrait par effraction dans l'intimité d'une
victime, se mit à en inventorier le contenu. Il trouva un
petit miroir d'argent, un morceau de velours amarante avec des
épingles, une ampoule en verre filé contenant ce qui
lui parut être du parfum et plus précisément de
l'« Eau de la reine de Hongrie » (il se
rappelait avoir décelé cette odeur sur le billet lui
donnant rendez-vous dans l'église des Carmes), une petite
bourse métallique contenant quelques louis, un chapelet et un
petit livre de piété relié aux armes des
Ruissec.

    Cet inventaire le
déçut ; rien qui ne fut habituel pour une femme de cet
âge et de cette distinction. Il remit tout en place. Le billet
de théâtre continuait à l'intriguer comme une
incongruité. Ce billet ne pouvait se

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