L'homme au ventre de plomb
Perséphone, aimée
de Zeus, donne naissance à Dionysos, dieu du vin et des
plaisirs. Je vous imagine assez bien, couronné de pampres et
entouré d'amours jouant du chalumeau !
– Ah ! le
fourbe! Ah ! l'habile homme qui veut soigner l'hypocondriaque ! Les
jésuites de Vannes peuvent se féliciter de l'éducation
qu'ils vous ont dispensée. D'ailleurs, au train où vont
les choses, il ne leur restera plus grand-chose d'autre. Tiens, vous
me remettez en joie.
Nicolas fut
heureux d'avoir déridé son vieil ami et chassé
les ombres passagères qui obscurcissaient un caractère
toujours enjoué.
– Un dernier
mot, Nicolas. Vous savez la justesse de mes pressentiments. Prenez
garde où vous mettez les pieds. Ces dévots frondeurs
sont de la pire espèce. Prenez vos précautions, doublez
vos mesures et n'agissez pas en solitaire comme vous n'avez que trop
tendance à le faire. Cyrus et moi tenons à vous.
Sur ces mots
affectueux, Nicolas prit congé. Rue Montmartre, il chercha une
brouette afin de rejoindre au plus vite la rue Neuve-Saint-Augustin
où se trouvait l'hôtel de Gramont, résidence du
lieutenant général de police.
DéjÃ
une presse affairée emplissait les rues étroites. Sa
chaise fut retardée et il eut le temps de réfléchir
à ce que venait de lui apprendre M. de Noblecourt. Il
regardait sans les voir les chalands et les mille incidents du
théâtre de la rue.
Sa belle humeur
s'en était allée, remplacée par une angoisse
diffuse et d'autant plus pesante qu'il n'en discernait pas l'origine.
Il finit pare s'avouer que sa vanité écornée y
prenait une large part. Il s'en voulait d'avoir jugé un peu
rapidement le comte de Ruissec, de l'avoir rangé comme une
marionnette étiquetée. Son inexpérience - M. de
Noblecourt aurait dit sa candeur - tenait de la naïveté.
Le vieux gentilhomme, pour violent et insultant qu'il ait été,
l'avait impressionné ; son habituelle intuition n'avait pas
fonctionné. L'évocation hautaine des qualités ou
privilèges d'un milieu auquel, malgré lui, il était
sensible, par les souvenirs d'une enfance passée au milieu de
la noblesse bretonne, l'avait engagé dans une fausse voie.
L'officier général, garde du corps de Madame Adélaïde,
lui avait offert une représentation nourrie de toute l'astuce
d'un homme de Cour, le tout dissimulé par l'habituelle
brusquerie des camps, et il s'était laissé prendre Ã
ce jeu. Il ne pouvait, en effet, imaginer que ce père eût
quelque motif d'en vouloir à son fils, si la thèse du
suicide se trouvait infirmée. Mais, à bien y réfléchir,
M. de Ruissec gardait par-devers lui bien des secrets.
Du cadet, il
faudrait au plus vite se mettre en quête pour parfaire le
tableau de cette famille. LÃ encore, il s'irritait contre
lui-même de n'avoir pas recueilli cette information et d'avoir
dû l'apprendre de la bouche de l'ancien procureur. Plus graves
de conséquences apparaissaient les tenants et les aboutissants
de la position du comte à la Cour. Nicolas risquait de heurter
des intérêts élevés. Il savait, l'ayant
déjà éprouvé, que M. de Sartine ne se
trouvait pas toujours en mesure d'étendre son ombre
protectrice sur lui. Restait le roi. Après tout, songea-t-il,
c'est le souverain qui avait souhaité le voir attaché Ã
des enquêtes sortant de l'ordinaire. Celle dans laquelle il
venait d'entrer appartenait-elle à cette catégorie ? Il
fallait la mener avec prudence, mais ne pas hésiter Ã
évoquer l'autorité de qui tout dépendait. C'est
sur cette pensée réconfortante qu'il fit son entrée
à l'hôtel de Gramont.
Un laquais le
conduisit aussitôt dans le bureau du maître des lieux.
Souvent, alors qu'il venait prendre les ordres ou faire le point
d'une procédure, il avait pu y admirer la grande armoire où
étaient serrées les perruques de toutes formes et de
toutes origines, qui formaient la collection de M. de Sartine. Tout
Paris jasait de cette innocente manie et guettait les changements de
coiffure du haut magistrat. Il n'était pas jusqu'aux ministres
du roi dans les cours étrangères qui ne fussent sans
relâche mobilisés et relances afin de lui adresser de
nouveaux modèles. On savait ainsi s'attirer ses bonnes grâces
et
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