L'homme au ventre de plomb
soleil entrait de biais dans sa chambre.
Sa montre indiquait neuf heures passées. Le pot d'eau chaude Ã
sa porte était froid. Il décida d'aller s'ébrouer
à la fontaine de la cour. La température était
encore clémente, à condition de se tenir au soleil.
Sa toilette
achevée, il se rendit à l'office. Marion s'inquiétait
de son retard inhabituel et le gourmanda : comment pouvait-il se
couvrir le corps d'eau froide sans risquer mille morts ? Elle lui
servit son chocolat et ses pains mollets. M. de Noblecourt était
parti de bon matin avec Poitevin. Il devait assister à la
réunion de la fabrique de la paroisse Saint-Eustache, dans
laquelle ce vieux voltairien occupait les dignes fonctions de
marguillier. Elle grommela que ces sorties matinales n'étaient
plus de son âge, tout en convenant que cette escapade prouvait
que l'accès de goutte était terminé.
Nicolas s'enquit
de Catherine. Elle était partie au marché aux poissons
afin de profiter de l'arrivée de la marée, et de
patauger à l'ouverture des baquets d'eau de mer pour dénicher
la plus belle pièce. Elle avait promis une sole à la
Villeroy à son maître, la veille au soir. Aidée
par Marion, elle entendait fêter la convalescence du procureur.
Outre le poisson, la recette exigeait de trouver du fromage de
parmesan, des moules et des crevettes roses. Marion espérait
que Nicolas serait présent au souper du soir, il ne laissait
pas sa part au chien, et ainsi la gloutonnerie de son maître
serait maintenue dans des bornes raisonnables. Elle comptait sur son
bon cœur et sur son appétit, pour épargner trop
de tentations à M. de Noblecourt.
Écoutant
d'une voix distraite le babil de Marion, Nicolas relisait les notes
de son calepin. Il restait encore sous l'impression de son cauchemar.
Pour Semacgus, le vide était aussi nuisible à la santé
que le trop-plein. Voilà ce qu'il en coûtait de se
coucher sans manger. Ce soir, le festin de Catherine y pourvoirait si
rien d'inattendu ne venait troubler cette promesse. Marion s'étonna
de le voir s'attarder. Il musardait et prenait son temps, savourant
un reste de pâté que la gouvernante crut devoir
ressortir de la réserve pour répondre à la
voracité du jeune homme.
Repu enfin, il se
réfugia dans la bibliothèque de M. de Noblecourt. Tout
maniaque que fût l'ancien procureur au Parlement avec ses
collections en général et avec ses livres en
particulier, au nombre desquels figuraient quelques trésors
dont même le Cabinet du roi se serait enorgueilli, il en avait
octroyé le libre accès à Nicolas.
Celui-ci savait ce
qu'il cherchait. Parfois, il se carrait dans une bergère pour
consulter plus à l'aise un vénérable in-folio. A
plusieurs reprises, il prit des notes dans son petit calepin. L'air
satisfait, il remit tout en place, referma soigneusement la grille de
l'armoire qui contenait les volumes les plus précieux et
replaça la clef sous un sujet en porcelaine de Saxe
représentant un berger de comédie charmant de son
flûtiau une bergère pâmée toute vêtue
de rose. Enfin, conformément aux recommandations du maître
de maison, il tira les rideaux, la lumière violente du matin
se révélant « mordante, décapante et
meurtrière » pour les reliures et les gravures.
C'était la marotte du procureur.
Midi sonnait et il
était temps. de se mettre en route vers la Comédie-Italienne.
La fréquentation des théâtres avait appris Ã
Nicolas l'inutilité d'y rôder dans la première
moitié de la journée, sous peine de n'y rencontrer que
frotteurs et balayeurs. De surcroît, les comédiens
étaient réputés se coucher tard et se lever en
conséquence. Il estimait, en jouant les chalands, mettre une
petite heure pour rejoindre à pied la Comédie-Italienne.
Lorsqu'il sortit,
un air frais animé par un petit vent chassait les miasmes de
la cité. Il emplit avec bonheur ses poumons des senteurs de
l'automne qui, pour une fois, l'emportaient sur celles des ordures et
déchets qui empuantissaient l'atmosphère et
concouraient à l'élaboration de ces boues fétides,
pétries de charognes, dont les particules constellaient bas et
culottes de mouchetures grasses et indélébiles.
Nicolas hésita
un moment sur le choix de son
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