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L'homme au ventre de plomb

L'homme au ventre de plomb

Titel: L'homme au ventre de plomb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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retrouva dans l'antichambre. Un miroir au-dessus
d'une commode lui renvoya l'image d'un jeune homme élégant
en habit noir, le chapeau sous le bras, bien découplé
et l'air insolent. De longs sourcils dominaient des yeux gris-vert
plus étonnés que candides. La bouche ourlée et
bien dessinée esquissait un sourire et la libre chevelure
châtain nouée accentuait la jeunesse du visage, en dépit
de quelques cicatrices. Il descendit quatre à quatre
l'escalier. M. de Sartine veillait au moindre détail quand il
le jugeait utile à ses desseins. La visite à la
favorite impliquait que Nicolas pût s'y rendre sans mécomptes,
et une voiture l'attendait dans la cour.

    Finalement, pour
Nicolas, l'entrevue s'était déroulée mieux que
prévu. Il craignait d'affronter un homme irrité,
incertain et se démarquant des initiatives risquées de
son subordonné. En fait, carte blanche lui avait été
donnée, « à ses risques et périls »
certes, mais avec une sollicitude détournée dont il
avait ressenti la chaleur. Il frémit avec retard à
l'idée que tout aurait pu s'arrêter là. Plus de
cadavres, plus de crimes, plus de victimes, plus de coupables...
Peut-être le meurtre de Mme de Ruissec aurait-il dû être
publié, mais le résultat eût été
identique : le corps aurait été enlevé et
l'affaire enterrée en même temps que la comtesse. De
fait, elle l'était et lui seul tenait en main le fragile fil
d'Ariane qui permettrait peut-être d'aboutir à des
conclusions et de démasquer les coupables.

    Tout au confort de
la voiture, Nicolas s'exerçait à deviner les
occupations des passants, tentait de déchiffrer leurs
expressions et d'imaginer ce que pouvait penser cette masse qu'on
appelait le peuple. Il collectionnait le souvenir des habits, des
tenues et des attitudes. Ces images reviendraient un jour ou l'autre
se poser sur des êtres réels et établiraient les
connexions mystérieuses dont son intuition se nourrissait. Sa
connaissance des hommes se renforcerait en feuilletant, au gré
des enquêtes, ces archives vivantes. La vue de la masse sombre
de la Bastille interrompit sa rumination. Il y avait visité un
jour son ami Semacgus, qui y était incarcéré. Il
sentait encore le froid humide de la vieille forteresse. La voiture
bifurqua vers la droite poursuivre la Seine. Il chassa l'image de la
prison.

    La campagne
succédait sans transition à la ville. Faute de
distractions, Nicolas essaya de mettre de l'ordre dans ce qu'il
savait de la marquise de Pompadour. Les hôtes bien informés
de M. de Noblecourt parlaient beaucoup. A leurs propos s'ajoutait la
lecture des écrits saisis par la police ou des lettres
ouvertes par le cabinet noir. Pamphlets, libelles, vers graveleux et
injures constituaient les éléments d'un tableau
contrasté. Chacun la disait malade et exténuée
par l'agitation et l'angoisse de la Cour. Le roi, qui ne l'avait
jamais ménagée, exigeait sa présence aux
veilles, aux soupers, aux représentations et dans ses voyages
incessants, surtout durant la période des chasses. La chère
trop riche avait détruit son estomac délicat. Semacgus
avançait que, pour complaire à son amant, elle avait
écouté de mauvais conseils et abusé d'excitants
fournis par des empiriques - cela sans compter sa prodigieuse
consommation de truffes et d'épices.

    Mais de l'avis
général, ce qui rongeait la marquise, c'était la
hantise permanente de « l'autre femme », celle
qui découvrirait le secret de cet homme singulier, si
difficile à distraire de son ennui. Elle en était venue
à susciter elle-même des rivales séduisantes mais
candides, dont elle ne pouvait craindre l'emprise sur le roi. Pour
l'heure, et en dépit de ces précautions, une demoiselle
de Romans l'inquiétait ; on la disait intrigante et
spirituelle.

    M. de La Borde,
pourtant tenu à la discrétion, avait consenti à
répéter en petit comité les propos d'une des
amies de la favorite. Voulant la rassurer, elle lui avait dit :
« C'est votre escalier qu'il aime, il est habitué à
le monter et à le descendre ». Aussi, l'heure
n'était plus à la passion ; les tièdes orages de
l'amitié l'avaient remplacée.

    A cette crainte de
perdre le roi s'ajoutait la terreur

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