L'homme au ventre de plomb
le jeu,
demanda Nicolas, toujours florissant ?
La maquerelle prit
une figure embarrassée et douteuse. Nicolas, naguère,
avait fait fermer le tripot clandestin que la Paulet avait ajouté
à ses autres activités. Pourtant, il savait par ses
mouches que les parties continuaient. Cela était toléré,
à condition qu'elle se montrât compréhensive
lorsqu'on faisait appel à elle.
– Je n'ai
plus de protecteur, je me garde à carreau.
– Ce qui
signifie exactement le contraire ! Me croyez-vous assez sot pour ne
pas penser que vous avez trouvé quelque moyen de continuer
votre petit négoce ! Allons, vous devriez avoir appris Ã
ne pas me la jouer de cette monnaie-là .
Elle s'agitait
comme une limace sous le soulier.
– Soit,
monsieur Nicolas, je m'en remets à votre amitié. La
Paulet est bonne fille, elle sait ce qu'elle vous doit. Que
voulez-vous savoir ?
– Je suis
chargé de veiller à l'honneur des familles,
c'est-à -dire d'empêcher que certains de nos bons jeunes
gens ne soient les dupes de chevaliers d'industrie ou de tricheurs
professionnels. Un cas de dérèglement de ce genre me
vient à l'esprit, peut-être le connaissez-vous ?
Les petits yeux
enfoncés dans les chairs le fixaient sans expression.
– Je ne les
connais pas tous par leur nom.
– Pas de
cela, la Paulet ! coupa rudement Nicolas. Vous êtes trop fine
mouche, pour ne pas vous renseigner quand cela peut être utile.
– Parlez
toujours. J'ai de la clientèle fort mêlée.
– Ruissec.
– Attendez,
cela me dit quelque chose... Oui, un beau jeune homme. Mes filles se
le disputent. Quel dommage de le voir perdu pour le beau sexe !
– Que
voulez-vous dire ?
– Oui, c'est
un petit collet promis à la prêtrise. Oh ! cela
n'empêche rien, mais voir un gaillard comme cela, cela fait
pitié, c'est du travail gâché.
Nicolas comprit
que la Paulet parlait du frère du vicomte. Noblecourt lui
avait déjà signalé ce Ruissec contraint par son
père à embrasser une vocation pour laquelle il
n'éprouvait qu'éloignement. Il n'avait pas encore
prononcé ses vœux, et la mort de son frère en
faisait désormais l'aîné du nom, libre désormais
d'orienter sa vie dans une direction différente.
– Il ne
vient jamais seul, ajouta la Paulet, il est toujours avec un garde du
corps, un certain... du Plâtre... Non, de La Chaux. Même
que l'autre jour, le petit abbé s'est retrouvé plumé
et son compère lui a donné une bague à laisser
en gage et, bien entendu, Ã lui rembourser ensuite. A charge
pour moi de la négocier sous quinzaine et de payer le
créancier. D'ailleurs, voyez comme je suis ouverte avec vous,
je l'ai sur moi, je vais vous la montrer.
La Paulet
fourragea dans sa jupe. D'un petit sac attaché au corps de sa
robe, elle sortit précautionneusement une bague qu'elle lui
tendit. Nicolas fut aussitôt frappé de l'aspect
inhabituel du bijou. Il s'agissait d'évidence d'une pièce
de grande qualité. Dans le chaton, une fleur de lys en
brillants était sertie dans un champ de turquoises. A en juger
par la dimension de l'anneau, c'était un bijou de femme ou
d'homme aux doigts fins. Il le lui rendit.
– Je
souhaiterais que vous conserviez ce bijou par-devers vous quelques
jours, dit-il. Cela peut avoir son importance.
Une chose
l'intriguait. On lui avait dit à plusieurs reprises que
c'était le vicomte le joueur. Son valet, d'abord, ce Lambert,
et la chose avait été corroborée par M. de
Noblecourt.
La Paulet faisait
grise mine.
– Il n'y a
pas urgence, monsieur Nicolas. J'avais toujours dit que ce joli cœur
ne m'apporterait que des ennuis. Nombre de mes habitués ne
voulaient plus jouer avec lui.
– M. de La
Chaux ?
– Non,
l'autre, le joli abbé, le petit Gilles. Il joue Ã
senestre.
Nicolas
tressaillit. Gilles... C'était le prénom surpris sur
les lèvres de la Bichelière au beau milieu de leurs
ébats.
– Il est
gaucher ?
– Et comment
! Et cela ne plaît pas. On dit qu'ils portent malchance au jeu.
– Pour le
coup, cela n'avait pas été le cas.
La Paulet se
laissa entraîner par la rapidité de leur échange.
– Il n'y
avait pas de risque, il fallait bien rétablir
Weitere Kostenlose Bücher