L'homme au ventre de plomb
chaises constituaient les seuls éléments
de l'ensemble. Un jeune homme en débraillé et une jeune
fille en chenille se donnaient la réplique. La Paulet, sa
masse énorme effondrée dans une bergère, en robe
rouge et mantille noire, plus peinturlurée de céruse et
de rouge qu'un pantin de la foire Saint-Germain, dirigeait le jeu Ã
coups d'éventail.
– Toi, le
bougre, un peu plus de passion ! Ne sens-tu pas que tu es au bord de
la crise ? Je sais que c'est une répétition, mais on
doit t'imaginer arder. Et toi, gueuse, un peu plus d'abandon et de
provocation. Nous avons affaire à des amateurs, ce soir...
Nicolas toussa
pour signaler sa présence. La Paulet poussa un cri. Les deux
acteurs reculèrent et le rideau tomba. Revenue de sa surprise,
la maquerelle se leva lourdement, Elle cria en direction du décor
:
– Ne
craignez rien les enfants, c'est monsieur Nicolas.
– Je vois
que vous n'avez pas abandonné l'art dramatique, fit celui-ci.
Quel souffle ! Quelle passion ! Quelle délicatesse ! Mlle
Dumesnil, déesse des Comédiens-Français,
est-elle annoncée ce soir avec sa cour de seigneurs aventureux
?
La Paulet était
tout sourire.
– Il faut
bien vivre. Je n'attends que quelques traitants en goguette qui,
après souper, veulent se divertir et ranimer des ardeurs
déficientes par la vue des jeux de mes jeunes acteurs. De
fait, nous répétions. C'est partie privée Ã
minuit. Mes filles, ensuite, étancheront...
– Un
spectacle édifiant.
– En quelque
sorte. Ainsi, monsieur le commissaire n'a pas oublié sa
vieille amie ?
– Ma chère,
vous êtes inoubliable. Et votre ratafia aussi.
– Un petit
verre ? fit la Paulet ravie. J'en ai du tout frais débarqué
des îles.
Pendant qu'elle
emplissait deux verres d'un liquide ambre, Nicolas examinait les
lieux. La disposition était différente, les tapis Ã
d'autres emplacements. Il comprit que cette modification visait Ã
dissimuler la partie du parquet imprégné du sang de
Mauval. Décidément, le passé était long Ã
solder.
– Comment
vont les affaires ?
– Je ne me
plains pas. Je suis toujours bien achalandée. Le plaisir ici
est varié, de qualité et sans surprise.
– Il y a des
nouvelles dans la maison ?
– Cela ne
manque pas. Les malheurs du temps me ramènent toujours des
colombes attirées par les feux de la ville.
– Vous qui
connaissez tout le monde à Paris, la Bichelière, Mlle
Bichelière de la Comédie-Italienne, cela vous dit
quelque chose ?
– Que oui !
Une petite roulure pas vilaine, avec de beaux yeux, qui fait sa
pelote aux Italiens. J'ai failli l'avoir, mais elle a préféré
faire ses caravanes ailleurs.
– Elle joue
pourtant les ingénues.
– Elle les
joue peut-être sur scène, mais elle est entrée
dans la carrière à peine fille. Ah! oui, elle peut
faire la renchérie... De nos jours, il n'y a plus de morale
dans le métier.
Et la Paulet se
mit à raconter. La Bichelière était venue toute
jeune de sa campagne avec une troupe de bohémiens qu'elle
avait abandonnée à Paris pour mendier. Elle ne savait
faire que cela, et danser. Elle était tombée dans la
plus basse crapule, réduite à vivre du travail d'une
main légère et douce qui, la nuit sous le feuillage des
Boulevards, distribuait des plaisirs imparfaits mais sans danger,
pis-aller des honteux et des pusillanimes. Ensuite, elle avait
marchandé son principal avec un financier, tout en multipliant
les aventures de cœur ou de tempérament avec des
greluchons.
– De fait,
ajouta la Paulet, son principal elle l'a négocié Ã
maintes reprises. Les michés s'y laissaient prendre.
– Comment
cela ?
– Cela tient
de la magie. Un doigt de baume miraculeux. Par exemple, la « Pommade
astringente de Du Lac », ou encore une onction de l'« Eau
spécifique des pucelles de Préval », et puis
une petite vessie de sang de pigeon placée au bon endroit, et
le tour est joué. La bonne humeur du naïf y sert de
ragoût. C'est une affaire à répétition. Je
l'ai croisée un jour rue Saint-Honoré, elle ne se
mouche pas du pied. Mais, gare, elle finira à Bicêtre
comme les autres de son acabit.
– Et
Weitere Kostenlose Bücher