L'homme au ventre de plomb
chassent.
Jacques Du Fouilloux
Dans la salle des
gardes, Nicolas aperçut un garçon bleu, un blondin Ã
l'air déluré, qui toisait les arrivants. Il reconnut le
guide annoncé. Il fut aussitôt pris en main et entraîné
à toute allure dans l'habituel dédale de salles, de
couloirs et d'escaliers. Parviendrait-il un jour à retrouver
son chemin dans ce château ? Cette cavalcade les conduisit très
haut dans l'édifice. Il savait que M. de La Borde disposait
dans les combles d'un petit appartement qu'il devait à la
faveur particulière du roi. Le garçon bleu ouvrit une
porte sans gratter, on habitué des lieux ; il s'effaça
pour le laisser entrer. Dès l'abord, Nicolas fut séduit
par le caractère paisible du salon que chauffait un feu
crépitant dans une cheminée de marbre grenat. Les
boiseries de chêne clair supportaient de petits tableaux de
chasse et, au-dessus de l'âtre, une magnifique carte de France
encadrée. Une bibliothèque, prise dans l'épaisseur
et également répartie de chaque côté d'une
porte, présentait des alignements réguliers de volumes
de poche qui ajoutaient encore à l'impression d'intimité
aimable de l'ensemble. M. de La Borde, en robe de chambre d'indienne,
sans cravate ni perruque, était mollement enfoncé dans
un sofa à grands ramages rouges sur fond crème, plongé
dans la lecture attentive d'un papier. Il leva les yeux.
- Ah ! Enfin
retrouvé, mon cher Nicolas! Merci, Gaspard, dit-il au garçon
bleu, vous pouvez disposer, mais ne vous éloignez pas, nous
pourrions avoir besoin de vous.
Le jeune homme
pirouetta sur lui-même et, après un petit salut
insolent, disparut.
– Prenez vos
aises, mon ami. Vous allez distraire cette fin d'après-midi
morose. Je compilais les exploits de mes créanciers.
Il lui montra une
pile de papiers près de lui.
– Je ne
connais manière plus désagréable de passer le
temps, dit Nicolas.
– Moi non
plus, mais laissons cela. Nicolas, éclairez ma lanterne. Où
en êtes-vous ? C'est par Sartine que j'ai appris votre présence
à Versailles. Il paraît que vous avez fait ce matin la
conquête du ministre. Compliment, l'animal ne se laisse pas
facilement amadouer ! Vous voilà homme à respecter.
– Et comment
cela ?
– Pardi,
armé, comme vous l'êtes, de lettres signées en
blanc !
– Rassurez-vous,
mon ami, je n'en ferai pas usage contre vous.
– Si le
service du roi l'imposait, vous n'hésiteriez pas et vous
auriez raison.
Nicolas, encore
une fois, fut frappé par la capacité de M. de La Borde
à recueillir les nouvelles. Il participait par ce don
mystérieux au goût du secret, caractère dominant
de son royal maître.
– Ainsi,
vous me cherchiez ?
– Certes. M.
de Sartine m'a prié de vous avertir que Madame Adélaïde
vous avait convié à sa chasse lundi matin. Je ne
possède pas d'autre lumière sur cet événement,
mais il vous faut prendre dès maintenant vos dispositions.
Nicolas manifesta
sa surprise.
– D'où
me vient selon vous cet honneur inattendu ?
La Borde fit un
geste de la main comme pour écarter une mouche.
– Ne vous
mettez pas martel en tête. Soit il s'agit d'un caprice de la
princesse devant laquelle il a été question de vous...
Il fit une pause
en regardant la pendule.
– Soit il y
a anguille sous roche et la convocation, je veux dire l'invitation,
signifie autre chose. Vous le saurez lundi.
– Je suis
sensible à l'honneur qui m'échoit, dit Nicolas, mais
nullement équipé pour y prendre part. Comment faire ?
– Voilà ,
mon cher, où je puis vous aider. Je quitte Versailles pour
deux jours ; j'ai affaire à Paris. Acceptez l'hospitalité
médiocre que je puis vous offrir ici. Vous me rendrez service.
Si l'on me demandait, soyez assez aimable pour me le faire savoir, Ã
cette adresse.
Il lui tendit un
papier. Nicolas constata que La Borde était si assuré
de sa réponse que les moindres détails avaient été
préparés.
– Je ne sais
si je puis accepter une aussi généreuse proposition...
– Pas un mot
de plus. Et pour votre équipement, j'ai la ressource aussi.
Vous savez que Madame, par ordre de son père, ne chasse ni le
cerf ni la bête
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