L'homme au ventre de plomb
de l'estaminet de
Choisy, qu'il avait croisé de nouveau alors qu'il sortait de
son audience avec la marquise de Pompadour. Ainsi, l'homme qu'il
recherchait se retrouvait lié à deux circonstances de
son enquête. Il devait bien exister une explication Ã
cela. Le premier soin était de feindre ne point l'avoir
reconnu. Il était inutile de lui donner l'éveil ; il
verrait bien sa réaction à lui.
L'homme le
regardait approcher avec un demi-sourire. Dans ce visage sans
caractère au teint pâle et aux poils blonds, il
retrouvait l'homme de Choisy. Nicolas s'approcha.
– Monsieur,
ai-je bien affaire à M. Truche de La Chaux ?
– Pour vous
servir, monsieur. Monsieur... ? Mais je crois que nous nous sommes
rencontrés, il n'y a guère, à Choisy ?
L'homme jouait
cartes sur table et ouvrait la partie dans des conditions que Nicolas
n'attendait pas.
– Je suis
policier. J'aimerais m'entretenir avec vous du vicomte de Ruissec.
Vous le connaissez, je crois ?
– Je sais
qu'on l'enterre aujourd'hui après son malheureux accident.
N'aurais-je été de service...
– Vous le
connaissiez donc ?
– Tout le
monde se connaît ici.
– Et son
frère, le vidame ?
– Je le
connais aussi. Nous avons eu l'occasion de jouer ensemble.
– Au Dauphin
couronné ?
L'homme, pour la
première fois, parut surpris par cette précision.
– Vous
faites les questions et les réponses.
– Il perd
beaucoup ?
– Il joue en
chien fou et ne mesure jamais ses pertes.
– Et vous
l'aidez à payer ses dettes, en bon camarade ?
– Cela
m'arrive.
– Vous lui
donnez une bague à laisser en gage, par exemple ?
– C'est une
pièce qui me vient de famille.
– Que vous
abandonnez tout simplement. Cela n'est guère crédible.
– Que ne
ferait-on pas pour aider un ami ? Il était toujours possible
de la racheter. Êtes-vous l'une de ces mouches de la police des
jeux ?
Nicolas négligea
la provocation.
– Et mardi
dernier dans l'après-midi, où étiez- vous ?
– A Choisy.
Au château de Choisy.
– Quelqu'un
peut en témoigner ?
Il considéra
Nicolas avec une insolence moqueuse.
– Demandez Ã
qui vous savez, elle vous le confirmera.
Que pouvait-il
opposer à cette réplique qui le plaçait au même
niveau que son interlocuteur ? Et que cherchait Truche de La Chaux,
sinon à le pousser au faux pas et à le rendre complice
de ses propres ambiguïtés ? Qu'avait donc à faire
la favorite avec un personnage de cet acabit qui se trouvait de
surcroît le commun dénominateur d'une enquête
criminelle ?
– Je ne
saisis pas votre allusion. Connaissez-vous le comte de Ruissec ?
– Du tout.
Je sais juste qu'il est à Madame Adélaïde. Ceci
dit, monsieur, je vous abandonne. Mon service m'appelle à la
sortie de la chapelle.
Il salua et partit
à grands pas. Nicolas le regarda s'éloigner. Il n'était
pas satisfait de cette conversation. Elle n'apportait rien de nouveau
et brouillait les perspectives. Elle. créait même une
difficulté supplémentaire en laissant supposer des
liens occultes entre Truche et la Pompadour. De plus, le garde du
corps paraissait bien sûr de lui. Était-il innocent, ou
couvert par une autorité supérieure ? Et d'ailleurs,
que pouvait-on lui reprocher, sinon de se trouver mêlé Ã
divers épisodes de l'enquête en cours, sauf,
apparemment, la mort de la comtesse de Ruissec. Il restait pourtant
qu'un inconnu lui avait donné un rendez-vous et que la chose
avait été contrariée par un lieutenant des
gardes françaises.
Gaspard attendait.
Nicolas songea qu'il devait libérer le jeune homme. Ce ne fut
pas chose facile ; le garçon bleu ne voulait pas le quitter,
ayant sans doute reçu des instructions précises de M.
de La Borde à ce sujet. En outre, traité généreusement
par Nicolas, il tenait à honneur de justifier son service
auprès de lui. Il finit par le convaincre de le laisser, en
l'assurant qu'il souhaitait visiter les jardins et les pièces
d'eau et qu'il le retrouverait plus tard, Ã l'appartement du
premier valet de chambre ; il en connaissait maintenant le chemin et
pouvait se débrouiller seul. Il se fit juste indiquer le moyen
de se rendre au char
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