L'homme lesbien : Précédé de Tombeau de Merlin ou Jean Markale, poète de la celtitude
authentique homme lesbien : c’est l’abbé de Choisy. Il fut un de ces ecclésiastiques de cour, lesquels étaient nombreux en une époque moins puritaine dans la vie privée que dans le jeu social. François-Timoléon de Choisy appartenait à une « bonne » famille, fils d’un conseiller d’État, également intendant du Languedoc et chancelier de Gaston d’Orléans, et d’une intime de Marie de Gonzague, reine de Pologne. C’est celle-ci qui s’est plu à habiller le futur abbé en fille et l’a fait élever en compagnie du jeune frère de Louis XIV (lequel était probablement non le fils de Louis XIII, celui de Mazarin : on sait que Louis XIII était un homosexuel pur et dur et que son vœu le 15 août était un leurre destiné à détourner d’éventuels soupçons). Louis XIV avait un frère, « Monsieur, frère du roi », susceptible de constituer un danger pour le roi régnant. Il fallait l’éliminer. Non par meurtre, par déconsidération publique. On a tenté de le faire en lui faisant porter des vêtements de fille, on a tant et si bien fait qu’il est devenu homosexuel (ce qui ne l’a pas empêché d’engendrer le futur régent Philippe d’Orléans). Or, François-Timoléon de Choisy a été élevé en compagnie de « Monsieur ». Bien qu’il ait adopté le goût du travestissement féminin, il n’est pas devenu, comme « Monsieur », homosexuel, ni bisexuel.
Le futur abbé (et plus tard l’abbé) est amoureux de la femme et, de préférence, de la jeune fille à peine pubère. Cela le ferait aujourd’hui classer dans la catégorie des pédophiles, mais nous sommes au XVII e siècle : les mœurs sont libres pourvu qu’elles demeurent secrètes et les jeux « saphiques » sont considérés comme des amusements sans conséquences.
Après une courte période où il apparaît en homme, l’abbé de Choisy ne résiste pas à l’envie de revêtir le costume féminin et s’installe, avec les encouragements de son curé et de l’évêque, dans une maison du quartier Saint-Médard sous le nom d’une certaine Madame de Sacy. Il décrit lui-même sa métamorphose : « D’abord, j’avais seulement une robe de chambre de drap noir, fermée par devant, avec des boutonnières qui allaient jusqu’en bas et une queue d’une demi-aune qu’un laquais me portait, une petite perruque peu poudrée, des boucles d’oreilles fort simples et deux grandes mouches de velours aux tempes. »
Personne ne trouve à y redire jusqu’à ce que le duc de Montausier lui en fasse publiquement le reproche à l’Opéra. Ne pouvant renoncer à sa « manie » – d’aucuns diront sa « perversion » –, il quitte Paris et s’installe à Bourges où il se fait passer pour une riche veuve nommée Comtesse des Barres. Qu’une mystérieuse étrangère apparaisse dans cette ville de province ne choque personne, bien au contraire, tant l’aristocratie et la bourgeoisie locale sont avides de divertissements originaux.
La comtesse des Barres obtient un succès fou dans la bonne société de Bourges et des environs. Accompagnée d’une domesticité triée sur le volet, elle devient la coqueluche d’un petit monde en mal de nouveauté. Et de la nouveauté il y en a. Non seulement la soi-disant comtesse des Barres brille par sa prestance et son élégance dans les réunions mondaines, elle parvient à séduire toutes les jeunes filles de cette bonne société.
De la sorte, l’abbé de Choisy-comtesse des Barres se conduit en authentique tribade. N’oublions pas qu’un tel « travers » était au XVII e siècle, et surtout dans les milieux aristocratiques et bourgeois de province, regardé plutôt comme un comportement de bon ton sans rien de répréhensible. Et puis n’était-ce pas flatteur qu’une belle et riche comtesse venue de Paris s’intéressât de près à des jeunes filles qui, quelque honorables que fussent leurs familles, étaient d’une condition inférieure à celle des « belles dames » qui faisaient la gloire de la capitale ? De près, c’est le cas de le dire.
Car la Comtesse des Barres invite ses jeunes conquêtes à partager son lit. En tout bien, tout honneur ? C’est peut-être ce que pensent les gens de son entourage, à moins qu’ils ne soient complices de la mystification. Ou de la perversion. La soi-disant comtesse se plaît à provoquer : elle invite volontiers des amis, hommes et femmes, ainsi que les parents de ses
Weitere Kostenlose Bücher