L'Hôtel Saint-Pol
nom, dit le bedeau.
– Sait-on qui elle est ? d’où elle vient ? demanda Valentine.
– Moi, je sais tout ! dit la paysanne du champ d’avoine. Moi, Guillaumette, j’ai tout vu, et j’adopte l’enfant. Je l’ai dit. Je ne m’en dédis pas. Qu’on fasse l’acte.
Le cercle des commères s’était élargi. Elles regardaient d’un air pincé. L’une à l’autre, elles semblaient se dire : Il paraît que M me la duchesse est une pas grand’chose. Derrière elles, une foule avide. Les notables accourus. Tout ce monde se taisait. Valentine tira deux pièces d’or de son aumônière et les offrit à Guillaumette qui rougit de plaisir. La duchesse considérait l’enfant, admirait son merveilleux profil de grâce, sa chevelure soyeuse, toute sa personne si délicate sous le grossier costume.
– Et qu’avez-vous vu, dites-moi ?
– Mais une belle litière et des gens d’armes qui se sont arrêtés hors la ville. Et les gens d’armes portaient des lances, avec une belle croix rouge de Saint-André tout au travers de la cuirasse…
Valentine tressaillit…
– La croix de Bourgogne ! murmura-t-elle.
– Et la femme est descendue, traînant l’enfant, continua Guillaumette. Moi, je les ai suivies, et me voilà. J’adopte la petite. Elle est à moi. Qu’on dresse l’acte.
Cette fois, la duchesse d’Orléans détacha son aumônière et la tendit, contenant et contenu, à Guillaumette.
– Cédez-moi vos droits, voulez-vous ? dit-elle en souriant.
Guillaumette serrait frénétiquement l’aumônière dans ses doigts crispés, toute pâle cette fois, car elle se rendait compte que si le contenu était d’importance, le contenant à lui seul était une fortune, soie d’or parsemée de perles et de diamants. Elle bégayait des choses confuses.
Déjà Valentine de Milan ne s’occupait plus d’elle… Et cette foule qui entourait le porche de l’église vit alors une chose qui la fit frissonner comme un grand et noble spectacle. Elle vit la duchesse d’Orléans, la femme du premier personnage du royaume en ce temps où le roi ne comptait pas, prendre doucement dans ses bras la fillette à l’humble costume, et vers sa litière armoriée aux armes les plus illustres de France, elle se mit en marche, souriante, portant, enveloppée dans un pan de son manteau de velours, la fille exposée, la fille sans nom…
Valentine déposa Roselys évanouie sur les coussins, fit fermer hermétiquement les rideaux de la litière, et comme ses dames d’honneur la regardaient, stupéfaites, avec son doux sourire, elle leur dit :
– Pas un mot à personne au monde de ce que je fais aujourd’hui…
– Madame la duchesse veut cacher ses bonnes œuvres, fit l’une des dames.
– Non, ma bonne Châtillon : il s’agit de cette jolie enfant dont la vie serait sûrement en péril si on savait que c’est moi qui la prends.
– Et pourquoi, madame ? demanda la duchesse de Châtillon très intéressée.
Et Valentine de Milan répondit :
– Bourgogne ou Nevers… l’un ou l’autre, je ne sais lequel des deux, je le saurai. Mais pour l’un ou pour l’autre, cette enfant sans nom portera un nom terrible, elle s’appellera le Remords… la Vengeance peut-être.
VIII – MARGUERITE DE HAINAUT
Lorsque les deux geôliers de la tour Huidelonne eurent emmené Hardy de Passavant, Jean de Bourgogne, comte de Nevers, sûr d’avoir assuré à jamais sa tranquillité en supprimant le témoin, passa le reste de la nuit dans cette grande salle du palais de Beautreillis où, jusqu’au grand jour, il continua sa méditation.
Le jour vint. L’Hôtel Saint-Pol s’éveille, s’anime, commence à vivre sa vie bruyante, s’emplit de hauts seigneurs allant du palais de la reine, où ils faisaient leur cour à Isabeau de Bavière, au palais du roi, non pour y saluer Charles VI, mais pour apporter leur contingent de force à l’un des trois régents qui se disputent âprement le pouvoir : les uns sont au duc d’Orléans, frère de Sa Majesté ; les autres appartiennent à Philippe de Bourgogne ou au duc de Berry, oncles du roi. On se regarde de travers, on se menace des yeux, on mâche des insultes, et déjà s’esquisse la grande lutte qui va ensanglanter Paris. Quant au duc de Bourbon, troisième oncle de Charles VI, il vit à l’écart, en tête-à-tête avec ses estampes, ses médailles, ses manuscrits, enfermé en sa hautaine probité d’où son dédain d’artiste et de lettré
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