L'Impératrice indomptée
escarpement, dotée d’une vue sur la ville et le scintillant détroit d’Albanie – une situation idyllique – qu’elle transformera en un petit Schloss , d’un style qui se veut classique. « Je suis enfin arrivée chez moi », dira-t-elle et, en un sens, ce sera vrai.
À Corfou, la femme qui a fui la brillante cour de Vienne et son extraordinaire famille d’empereur, de ducs, d’archiduchesses et de reines, disséminée du Mexique à Budapest, afin de devenir une personne ordinaire, de se retirer et d’être simplement elle-même, cette femme ressuscite vraiment. Elle lit, pense, médite. Elle évoque souvent son enfance, les absurdes batailles de boules de neige dans les rues de Munich, les promenades en traîneau dans les forêts de Bavière, avec ses frères et ses soeurs, aux moments où elle et son père, le duc Maximilien, se déguisaient en musiciens ambulants pour gratter de la cithare et chanter des chansons paillardes dans des noces villageoises. C’étaient des gens d’une richesse fabuleuse et de sang royal, certes, mais pendant une heure ou deux, ou un après-midi, ils n’étaient plus que des êtres sans importance. Épouser Sa Majesté impériale, empereur d’Autriche et roi de Jérusalem, margrave de Moravie et roi de Bohême, a été pour Sissi une erreur épouvantable. Mais on ne réécrit pas l’Histoire.
À Corfou, les mois d’été sont rédempteurs. La Méditerranée est bleue à perte de vue. Élisabeth compare avec les mois qu’elle a passés à Madère. Ici, tout est différent. Des rochers nus brûlés par le soleil, toute la végétation de l’Orient et de la Grèce ! Elle voit des sentiers escarpés qui montent au flanc des montagnes. Une sorte d’immense lassitude la possède. Maintenant, c’est bien fini ! Il faut oublier à jamais toute cette cour pourrie et essayer de respirer seule et de vivre pour soi-même. Celle qui dira plus tard à sa nièce : « Jouer la comédie est le triste sort de ceux qui portent une couronne » ne peut encore se faire à l’idée d’une double vie. Elle est sortie de ses illusions, meurtrie et malheureuse ; elle n’est pas encore parvenue à découvrir l’équilibre qui l’aidera à vivre. À Corfou, dans les bois de myrtes et de lauriers, elle essaie encore de se consoler de tout ce qu’elle a perdu. Mais cela appartient au passé !
Seule sur son rocher, elle attend l’automne. Septembre la trouve saine et vigilante, marchant dans les sentiers de chèvre pour tromper son impatience. Au crépuscule, quand elle est assise à la terrasse en marbre qui donne sur la mer, elle sent ce mélange indicible de l’été qui meurt et de la nouvelle saison présente déjà par les teintes rousses dans les feuillages, par cette heure unique où l’obscurité tombe plus vite. Maintenant, le sort en est jeté, elle continuera sa vie errante et solitaire et, de temps en temps, retournera à Vienne pour satisfaire aux ambitions politiques de son mari. Lui-même d’ailleurs désire montrer à ses peuples que ce qui se passe avec son épouse est normal. Il veut prouver l’improuvable et désire qu’on parle de sa grande affection pour celle qui est la mère de ses enfants. Pour lui, il serait beau qu’à un amour impossible le couple substituât une large affection, une amitié qui prendrait publiquement les formes de l’amour.
À la mi-octobre, il arrive à Corfou. Il voudrait obtenir qu’Élisabeth revienne à la Hofburg. Mais celle-ci s’y refuse. Il faut pourtant trouver une transaction qui satisfasse la curiosité populaire. C’est alors que tous deux décident que l’impératrice passera quelque temps à Venise et qu’on lui enverra ses enfants. « Sissi est vraiment beaucoup mieux, écrit de Corfou François-Joseph à sa mère. Elle a repris des forces et du poids, elle a bonne mine. Et bien qu’elle soit encore un peu gonflée du visage, son teint est frais. Elle tousse moins, elle n’a plus de douleurs dans la poitrine, et ses nerfs sont en meilleur état. » Pour lui, ajoute-t-il, ce sera un bonheur de la ramener à Venise où il pourra la voir souvent. Élisabeth est satisfaite puisque son mari a accepté ses conditions. Il admet qu’elle ne va pas encore assez bien pour rentrer à Vienne ; et il a promis de laisser leurs enfants passer l’hiver à Venise avec elle. François-Joseph comprend fort bien que sa femme admire Corfou et la beauté des montagnes d’Albanie, que couvre la neige.
Le
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