L'Impératrice indomptée
personne ici qui puisse leur parler... L’empereur est tellement surchargé de besogne, que c’est vraiment sa seule détente quand, le soir, nous sommes assis un moment à la fenêtre ouverte... »
En mai 1864, Munich est en deuil : le roi Maximilien II vient de mourir. Tous ceux qui s’intéressent à la Bavière redoutent l’avenir. Il est un moment question de rappeler le vieux roi Louis I er , qui a dû abdiquer en 1848, mais on donne la préférence au jeune Louis, qui, à dix-huit ans, resplendit de jeunesse et de beauté. Dieu sait pourtant si ce monarque est peu fait pour gouverner ! Il a passé sa jeunesse à rêver et à écrire des vers. On dirait que cette sorte de mysticisme classique qui a illuminé la vie de Louis I er est repassée tout entière sur la tête de son petit-fils. Les premières semaines du règne sont magnifiques. Jamais un pays d’Europe n’a eu un monarque aussi resplendissant. Des femmes en sont folles et vont attendre le jeune dieu dans les couloirs de la Résidence d’où elles se font impitoyablement chasser. D’autres l’attendent pendant des jours et des jours sous le hêtre pourpre du parc de Berg. Mais rien n’émeut le jeune chef. Il passe, hautain et fier, dans son carrosse traîné par six chevaux blancs. Quelle sera la femme qui dégèlera ce coeur glacial et s’assiéra sur le trône de Bavière ? Nulle n’ose l’espérer.
L’occasion d’une rencontre entre Louis II et Élisabeth se présente pendant l’été, tandis qu’elle prend les eaux à Kissingen en compagnie de la tsarine Marie de Russie. Louis est ébloui par sa cousine bavaroise. Il est à son diapason. Avec son romantisme fantasque, il se met à l’adorer. Pendant tout l’hiver 1864, Louis II et Élisabeth s’écrivent longuement. Tous deux sont à la recherche d’une affection intellectuelle qui pourrait les unir mieux que nul amour ! Elle se dit que ce moyen constituerait un subterfuge inoffensif pour occuper sa vie. Mille symboles éclatent entre ces deux êtres de choix à la recherche de ce qu’ils ne trouveront jamais. L’aigle écrit à la tourterelle et puis la tourterelle répond à l’aigle !
Amour exalté et platonique, tendresse lyrique... Le roi de Bavière fait porter ses missives par des courriers spéciaux et Sissi cache ses lettres enflammées, tout en sachant que son cousin ne vit que de fantasmes. L’entière entente de ces deux êtres issus d’une même origine, de ces deux âmes identiques par leur essence, échappe à toute curiosité. Un mystère impénétrable entoure leur amitié spirituelle et leurs entrevues.
L’impératrice ne rentre pas à Vienne pour les fêtes de Noël et du Nouvel An qui coïncident, rappelons-le, avec son anniversaire. Elle traîne de ville en ville, paresseusement, écoutant gronder dans son coeur les accents étranges d’un amour irréalisable. Louis II est fou d’elle, il la désire, la convoite, la respire, l’ensorcelle ! Elle, pendant ce temps, prend un souci particulier de sa beauté ! Comme l’ont signalé tous les historiens, elle a maintenant vingt-sept ans, et jamais elle n’a eu un tel éclat qui arrache des soupirs d’admiration sur son passage. Elle réalise, en cette époque de femmes aux formes opulentes, un type très rare de créature mince et sportive. Tous les soirs, elle fait brosser longuement son ample chevelure châtain doré ! C’est ainsi que Winterhalter la peint en toilette blanche vaporeuse, la chevelure piquée de fleurs. Elle y paraît éblouissante de fraîcheur et de grâce ; un sourire mélancolique joue sur ses lèvres, mais elle ne se cache pas encore derrière l’éventail qu’elle tient à la main. Son plus célèbre portrait ! Au mariage de son frère Charles-Théodore avec la princesse Sophie de Saxe, elle est étincelante.
Une de ses plus fidèles dames d’honneur, Marie Festetics, dira : « Il fait délicieux près d’elle. Il suffit de la regarder, c’est le charme personnifié. Elle me fait penser à un cygne ou encore à une fée ou à un elfe. Et encore non, une reine : elle est racée de la tête aux pieds, fine et distinguée en tout. Et puis tous les ragots me viennent à l’esprit : il y a beaucoup de jalousie, sans doute, car, à la vérité, elle est d’une grâce et d’une beauté extraordinaires. Mais ce qui me frappe de plus en plus, c’est l’absence de toute joie de vivre. Elle est d’un calme impressionnant pour son âge... »
La
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