L'Impératrice indomptée
elle. L’impératrice lui pardonna. Alors la fille du malade, la comtesse Szechenyi, remercia Élisabeth avec tant d’effusion que l’impératrice eut beaucoup de peine à l’empêcher de se jeter à ses genoux. »
Mais elle est prompte à traiter avec froideur, voire avec dédain, ceux dont, souvent à tort, elle se défie. Toutes les fois qu’elle en souffre, elle cherche un refuge dans son affection passionnée pour Marie-Valérie : sa tendresse pour cette enfant l’arrache à elle-même. Mais, là aussi, elle ne connaît pas la mesure et son amour manque d’équilibre.
L’attachement inaltérable de l’empereur François-Joseph pour Sissi est compréhensible. Car de sa personnalité ne cessent de rayonner la beauté et la séduction. Qu’elle occupe le trône à ses côtés, qu’elle ploie le genou devant le Tout-Puissant, que le page porte sa traîne ou qu’elle se promène dans un jardin, court vêtue, qu’elle monte à cheval, qu’elle boive son lait ou qu’elle plaisante, elle demeure l’impératrice. Non par un formalisme appris, mais par une grâce innée et avec un charme infini. Le changement survenu dans son caractère ne désarme pas son époux. C’est lui qui lui fait bâtir la villa du parc de Lainz, alors que le public la croit due au goût excessif de l’impératrice pour le luxe. N’est-elle pas déjà richement dotée de châteaux et de résidences ? Or cette villa flatte le faible des souverains. L’empereur est un chasseur passionné et le parc de Lainz est célèbre depuis le XI e siècle pour son gibier. De son côté, l’impératrice aime la nature calme et la solitude. S’élevant juste à la lisière d’une immense forêt qui était auparavant un terrain d’équitation réservé à la cour, la villa se trouve cachée à tous les yeux ; on y vit en contact intime avec la nature et avec des bois presque sauvages. Elle est construite en style renaissance franco-italienne, dans le goût de l’époque, qui n’est pas des meilleurs. Un faste pesant, une lourde somptuosité sont déployés pour la décoration intérieure, surtout dans la chambre à coucher de l’impératrice. Si l’architecte concepteur Makart décède prématurément, les travaux sont exécutés d’après ses maquettes où il s’est complu aux couleurs vives. La plus belle pièce est la salle de gymnastique aménagée en style pompéien, munie de multiples appareils, dont une balance décimale qu’Élisabeth interroge tous les jours. Il va sans dire que les dépendances comportent de superbes écuries et deux manèges, dont l’un à ciel ouvert. Mais la proximité de la forêt a son mauvais côté : même par beau temps, le lieu reste humide et, lorsqu’il pleut, il devient affreusement mélancolique. Élisabeth n’aime pas parler de ses maux physiques ; son médecin, s’étonnant un jour de constater des symptômes de sciatique, lui a demandé si cette maladie régnait dans sa famille : « Non, répondit-elle en riant, rien que dans mes jambes, malheureusement ! » Lainz n’étant favorable ni à l’humeur ni à la souplesse des articulations, Élisabeth va donc délaisser souvent ce monument dédié à leur amour.
Les absences prolongées de sa femme pèsent à François-Joseph qui se sent très seul : « Ma pensée ne te quitte pas ; je compte avec mélancolie les jours, ni nombreux, hélas ! qui me séparent de ton retour. Tu nous manques naturellement à tous et surtout à moi », écrit-il en réponse à une lettre détaillée d’Élisabeth qui y a joint deux poèmes. Mais s’il ne s’intéresse guère à cet art, il se montre galant : « Je trouve ton poème génial et plein de naturel... celui de la landgrave est très faible. Sa prose est élégante et pleine de charme, mais elle ferait mieux de renoncer à la poésie. »
Avec le temps, Élisabeth ne rentre plus au palais impérial que pour y voir sa fille Marie-Valérie. Sans doute, son époux n’est pas devenu tout à fait un étranger pour elle, mais leur conception de la vie et leurs intérêts divergent de plus en plus. Elle se désintéresse à peu près complètement du sort de l’empire, ne paraît presque jamais à la cour, même aux grandes occasions. L’empereur se montre blessé de cette attitude ; il est donc très facile de comprendre l’attachement qu’il développe pour Catherine Schratt, simple, intelligente, gaie, sans problème, pleine d’humour. Absolument désintéressée,
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