L'Impératrice indomptée
l’actrice racontera à l’empereur, dans le langage du terroir, tout ce qui lui vient à l’esprit, et cette liberté le distraira. Si l’impératrice a mauvaise conscience de délaisser si souvent son époux, il n’en demeure pas moins qu’elle fait passer ses désirs personnels avant ceux de François-Joseph. Son humeur vagabonde prime sur ses sentiments et l’empereur n’a d’autre issue que de s’y soumettre.
XIII
RODOLPHE ET MAYERLING
C OMMENT NE PAS PARLER du prince héritier d’Autriche sans évoquer l’hérédité des Wittelsbach ? Au moment où sa vie va se conclure en 1889, dans le drame et le mystère, regardons de plus près cet archiduc au destin tragique.
Mince, élégant, le regard profond, un visage régulier, une longue moustache, Rodolphe est un être sensible et inquiet. Sa pensée le porte à écouter les opinions libérales et il étouffe dans l’atmosphère du palais impérial. Il est entré en relations suivies avec des journalistes de l’opposition, après un séjour à Prague où il s’est montré assez favorable aux revendications des Tchèques. Pour s’étourdir, il mène une vie joyeuse et désordonnée. Et ce train de vie épuisant le conduit, dans les derniers mois de 1888, à une instabilité nerveuse qui n’échappe pas aux regards de ceux qui l’épient.
Pour mieux le comprendre, force est de consulter son arbre généalogique. Il révèle une hérédité redoutable. Plus de la moitié de ses ancêtres ont souffert de troubles mentaux sérieux. Par malheur, le genre d’éducation qu’il a reçue n’a pu que fortifier ses tendances congénitales. À six ans, enfant fragile, il fut confié au comte Léopold Godrecourt. Ce précepteur, une sorte de soudard, estima qu’il fallait l’endurcir, et, à cette fin, n’imagina rien de mieux que de le faire réveiller la nuit dans sa chambre, ou de l’enfermer dans une réserve d’animaux sauvages en lui criant qu’un ours le poursuivait. À huit ans, une interrogation s’installait au premier plan dans les préoccupations de Rodolphe : celle de la mort. À neuf ans, il commençait à rédiger des testaments que le comte de Latour, qui avait succédé au colonel Godrecourt, lui faisait recopier après en avoir soigneusement corrigé les fautes d’orthographe.
À dix-huit ans, après quelques voyages en Suisse, en Dalmatie et en Angleterre, il alla rendre visite, à Munich, au cousin de sa mère, le roi Louis II de Bavière. Celui-ci, âgé de trente-deux ans, exerça sur lui une influence profonde. Depuis trois ans déjà, les cousins s’écrivaient. Leur rencontre ne fit que confirmer leur sympathie réciproque. Jusqu’alors, on avait reproché à Rodolphe d’être trop efféminé. L’empereur lui faisait grief de son peu de goût pour la chasse. Louis II lui parla musique et même, un jour, l’invita à un banquet où ils purent écouter un opéra de Wagner joué pour eux seuls. D’autre part, le souverain lui confia toutes les raisons qu’il avait de haïr la vie. Au retour, Rodolphe rédigea de nouveau son testament.
Trois ans avant la tragédie de Mayerling, Louis II est retrouvé noyé dans un lac. Son médecin l’a accompagné dans la mort. L’épouse de Rodolphe, Stéphanie de Belgique, n’est pas faite pour lui apporter la paix. « Pour le manque de tact, c’est un obélisque », disait d’elle son beau-père. Elle était bornée, froide, conventionnelle. Elle voulait être impératrice... Dès le premier jour de leur mariage, Rodolphe lui déplut. Bien qu’une petite fille naquît de leur union, leurs relations ne s’améliorèrent pas. L’archiduc était infidèle. Il demanda même au pape l’autorisation de se séparer de sa femme. Le pontife refusa. Cependant, Rodolphe était loin d’être un séducteur. Faible, il collectionnait les aventures galantes dans l’espoir de rencontrer la tendresse dont l’avaient frustré son éducation à la prussienne, les absences de sa mère et la froideur de sa femme. Il récompensait ses conquêtes en leur offrant des coffrets à cigarettes d’une valeur appropriée à leur rang. Les dames de haut rang avaient droit à un modèle sur lequel sa signature était reproduite. Celui destiné aux femmes de condition plus modeste ne portait que ses armes. Trois intermédiaires complétaient cette hiérarchie des faveurs. Avec une minutie de bureaucrate, à l’instar de son père, Rodolphe tenait un registre de ses conquêtes. Par analogie
Weitere Kostenlose Bücher