L’impératrice lève le masque
de dents puissantes. Ensuite, il but une gorgée du café que Putz avait servi et alluma une cigarette.
— Il y a trois jours, j’ai reçu un télégramme. Hummelhauser disait détenir des éléments laissant à penser qu’un groupe d’anciens exilés projetait un attentat contre l’impératrice. Nous avions rendez-vous demain au Danieli pour qu’il me remette les dossiers en question.
— Et vous pensez que Pellico savait que le conseiller voyageait avec ces documents ? demanda Tron.
Le colonel fit un signe de la tête.
— Je ne peux pas vous dire comment il l’a appris. Mais manifestement, il en savait plus que moi puisqu’il avait même été informé que Hummelhauser arriverait un jour plus tôt que prévu.
— Et que contenaient ces documents ?
— Le nom des conjurés, le lieu et l’heure de l’attentat.
— Qui d’autre est au courant de ce complot ?
— Personne. Le conseiller m’a prié de garder cela pour moi afin d’éviter une réaction excessive de la part de Toggenburg.
— Et maintenant, allez-vous prévenir le commandant de place ?
— Je n’ai guère le choix, répondit le militaire.
— Je ne comprends pas l’objectif de cet attentat. Croient-ils vraiment pouvoir chasser les Autrichiens de la Vénétie ?
— Non. Mais Toggenburg ferait arrêter une foule d’innocents et organiserait tous les jours des douzaines de razzias. Venise deviendrait alors une poudrière prête à sauter à tout moment. Voilà ce qu’ils veulent !
Le colonel but à nouveau une gorgée de café. Puis il tira sur sa cigarette avec nervosité et dit à travers le nuage de fumée qui montait en spirale : — Vous comprenez pourquoi je dois trouver ces papiers de toute urgence ?
— Qu’avez-vous l’intention de faire ?
— Arrêter Pellico et fouiller son domicile.
— À supposer qu’il soit encore en ville.
— Il y est. Il s’imagine que son poste de directeur de l’Istituto delle Zitelle est un camouflage parfait.
— Un camouflage pour quoi ?
Pergen jeta au commissaire un regard méfiant. On aurait dit que sa question, telle une requête, devait être présentée à un bureau de l’administration centrale pour recevoir un tampon. Enfin, il répondit : — C’est Pellico qui coordonne les activités du Comité de la Vénétie.
— Et pourquoi ne l’avez-vous pas fait incarcérer depuis longtemps ?
— Parce qu’il me paraissait jusqu’à présent plus judicieux de les observer, lui et son réseau. Nous savions qu’il était allé à Trieste, mais nous ne savions pas pourquoi. Personne ne se doutait que ce voyage pouvait avoir un rapport avec les découvertes de Hummelhauser. Ce n’est qu’après coup que tout s’emboîte.
— Peut-être même un peu trop, non ? remarqua Tron. Êtes-vous sûr que ce soit la seule façon d’expliquer ce meurtre ? On m’a rapporté que hier soir, au restaurant, le conseiller s’est querellé avec un certain Grillparzer.
— Et alors ?
— Peut-être devrait-on poser quelques questions à ce sous-lieutenant. J’aimerais beaucoup connaître le sujet de leur dispute.
Pergen repoussa cette suggestion de manière catégorique :
— Vous ne feriez que perdre votre temps.
— Et la jeune femme ? s’entêta Tron.
— Quel est le problème ?
— Si c’était un témoin gênant, pourquoi Pellico l’aurait-il étranglée ?
— Parce qu’un Derringer n’a que deux coups, commissaire.
— Vous croyez qu’il n’a vu la jeune femme qu’après avoir tiré ?
Le colonel approuva d’un signe de la tête.
— Oui, je pense. La tempête, la pénombre… Lorsqu’il l’a aperçue, il n’avait plus d’autre choix que de l’étrangler.
— Cela n’explique pas les contusions.
Pergen ricana et Tron constata que, d’un seul coup, le colonel lui devenait antipathique.
— Dans le feu de l’action, les hommes abusent parfois un peu…
— Les morsures sur le buste, vous appelez cela « abuser un peu » ?
— Si cette dame n’avait pas été d’accord, elle aurait appelé au secours.
Pergen fit une moue indifférente.
— Sans doute a-t-elle crié, s’obstina Tron. Mais dans la tempête, personne ne l’a entendue. Je trouve que nous devrions interroger les passagers des cabines attenantes, le sous-lieutenant Grillparzer et la princesse de Montalcino. Avec votre accord, je pourrais prendre contact avec cette dernière…
— Ce ne sera pas nécessaire, commissaire.
Soudain, Pergen semblait très pressé.
— Nous tenons le
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