L’impératrice lève le masque
fumée forma des cercles au-dessus de la table.
— C’est pourquoi il devait mourir – et son carnet disparaître.
— Par malheur, Mme Schmitz est arrivée au mauvais moment, remarqua le policier.
Son interlocuteur secoua la tête d’un air incrédule :
— Cela voudrait dire que Tommaseo est lui-même l’instrument aux mains du Seigneur dont il parlait hier ! Qu’allez-vous faire ?
— Ce n’est pas mon affaire, mais celle de Spadeni. Il va d’abord chercher à savoir si le prêtre était aujourd’hui à Trieste et s’il revenait de Vienne le 13 février.
— Et ensuite ?
— Le cas échéant, on lui posera quelques questions.
— C’est vous qui allez mener l’interrogatoire ?
— Non, c’est l’enquête de Spadeni. Tommaseo est donc libre de se rendre ou non à Trieste pour l’interrogatoire.
Peu après minuit, Tron se retrouva devant la porte de sa cabine qu’il n’arrivait pas à ouvrir. Il mit plusieurs minutes à se rendre compte qu’il avait certes le même numéro que la nuit précédente, mais que l’ordre était inversé. C’était la première différence qu’il constatait entre les deux paquebots.
Après que Haslinger eut réglé l’addition, Tron l’avait invité au bal masqué de sa mère et l’ingénieur avait aussitôt accepté. Il plairait à la comtesse, s’était dit le commissaire, d’autant que pour des raisons qui lui échappaient, elle adorait l’éclairage au gaz.
Une fois sur sa couchette, bercé par le sauternes et le bruit des aubes, il s’endormit plus vite qu’il ne l’aurait cru. Il avait craint que les images sanguinolentes du corps de Mme Schmitz ne le hantent, mais cinq minutes après avoir éteint la lumière, il dormait à poings fermés.
40
Sissi jette sur le bureau le dossier qu’elle vient de lire. Elle se croise les mains derrière la nuque et bâille. Puis elle se lève, va à la fenêtre et écarte le rideau. Deux officiers traversent la place Saint-Marc en direction du palais. Des pigeons s’envolent, se posent à nouveau et picorent des miettes de pain. Le pavement a des reflets argentés. Peut-être a-t-il neigé pendant la nuit ? Peut-être aussi le miroitement des pierres n’est-il dû qu’à une mince couche de givre ? Il est neuf heures, Élisabeth s’est fait réveiller deux heures auparavant.
Hier soir, Königsegg est revenu de Vérone par le train de huit heures. Il avait passé une heure aux archives centrales et deux autres dans celles du tribunal militaire. Il était fier de lui – à juste titre, doit-elle convenir a posteriori . Il avait caché son butin dans deux grands sacs en lin qu’un adjudant trempé de sueur a portés jusqu’à la Fabbrica Nuova. Sissi a commencé sa lecture dès leur arrivée et pris des notes jusque bien après minuit.
Les dossiers à proprement parler ne constituent qu’une faible part de la prise. Il s’agit de petits recueils où figurent les avancements, les récompenses et les appréciations disciplinaires depuis les premiers bulletins de l’école militaire jusqu’aux toutes dernières promotions ou mutations.
La majeure partie des documents se compose en fait des actes d’un procès ayant eu lieu au tribunal militaire de Vérone en janvier 1850 et des comptes rendus d’une action disciplinaire entreprise, toujours à Vérone, un an plus tard. Il y est question d’une part du viol d’une jeune fille, d’autre part d’insultes adressées à un agent de la police viennoise dans le cadre d’une enquête sur l’assassinat d’une prostituée. Le procès avait débouché sur un acquittement, la procédure disciplinaire sur une note dans le dossier militaire. Dans le premier cas, le colonel Pergen dirigeait le procès en tant que président du tribunal correctionnel militaire ; dans le deuxième, il figurait comme officier garant de l’accusé.
Le procès concernait un incident qui s’était produit juste après la capitulation de Venise en septembre 1849. Un commando spécial des chasseurs croates qui passait au peigne fin la « terre ferme », c’est-à-dire l’arrière-pays de la lagune, avait eu vent du fait que des rebelles se cachaient dans une ferme à proximité de Gambarare. Ils fouillèrent les lieux, mais ne trouvèrent personne. Ils questionnèrent alors le propriétaire et l’abattirent au moment où il tentait de fuir en compagnie de son épouse. Cette histoire n’aurait intéressé personne s’il n’y avait pas eu leur fille.
Le soir de la
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