l'incendie de Rome
pouvaient commettre ce genre d’atrocités. Il avait posé la question par obligation professionnelle, c’était l’agent de Tigellin qui avait parlé. Le vrai Lucius, lui, restait étonnamment troublé… Le dialogue entre Paul et les craignant-Dieu se poursuivit. Une jeune femme de son âge à peu près prit la parole :
— Tu as parlé de salut, tout à l’heure. Que veux-tu dire par là ?
— Ceux qui ont été justes et qui ont aimé leur prochain connaîtront après leur mort le bonheur dans le Christ.
— Mon mari est mort l’année dernière. C’était un homme bon et juste, mais il croyait à nos dieux. Crois-tu qu’il puisse connaître le bonheur quand même ?
— S’il a aimé, il est sauvé.
— Je te remercie, Paul. Je te remercie sincèrement…
Lucius était plus troublé encore. Son épouse Marcia, elle aussi, avait été bonne et juste. Selon la religion romaine, elle habitait désormais les enfers, un au-delà sans lumière et sans joie où tous les morts vivaient à jamais une existence diminuée, quoi qu’ils aient fait durant leur vie. Elle connaissait le même sort que les individus de la pire espèce, elle côtoyait un tyran comme Caligula, une dévergondée comme Messaline. Or les chrétiens affirmaient qu’il pouvait y avoir une récompense si nous avions fait le bien sur cette terre. Bien sûr, il n’y croyait pas encore, cela ne pouvait aller aussi vite, mais il sentait qu’il n’avait pas fini d’y penser… Tandis qu’il se faisait ces réflexions, Paul prit congé.
— À ceux qui veulent aller plus loin dans la voie du Christ, je donne rendez-vous dans une semaine et un jour, près du lieu où j’habite, au croisement de la via Salaria et de la via Nomentana.
Plusieurs craignant-Dieu l’assurèrent qu’ils viendraient, d’autres ne dirent rien. Paul lança encore :
— Je vous invite à la prudence. Tout le monde ne voit pas les chrétiens d’un bon œil.
Et il s’en alla, d’une démarche malgracieuse, sur ses jambes arquées.
Le petit groupe se dispersa et Lucius alla sans hésiter dans la direction de la jeune femme qui venait de parler. Tout en s’approchant d’elle, il la découvrit vraiment. Il se dégageait d’elle autant de beauté que de sagesse. Elle avait un visage régulier, des cheveux très bruns parfaitement coiffés en bandeau, et un nez retroussé un peu impertinent. Il l’aborda avec l’air chaleureux qui était le sien en toutes circonstances.
— J’aurais posé la même question que toi, si tu ne l’avais pas fait. Moi aussi, j’ai perdu mon épouse. Elle s’appelait Marcia…
Et Lucius Gemellus se présenta ou, du moins, raconta une partie de la vérité, car tout ce qui concernait ses activités pour Tigellin était secret.
Il vendait donc de l’huile avec ses parents, en face du Circus Maximus, et Marcia les aidait au magasin, avant que la mort se saisisse d’elle et de leur enfant. La jeune femme parut touchée et se présenta à son tour :
— Je m’appelle Délia. J’habite près du Forum. Moi aussi, je suis marchande, mais je n’ai pas de magasin comme toi, je vends mes galettes dans la rue.
Ils se mirent en route et firent plus ample connaissance. Lucius découvrit en Délia une jeune femme pleine de vie et de sensibilité. Elle était affranchie. Née esclave, elle avait reçu la liberté à la mort de ses maîtres. Comme, chez eux, elle s’occupait de la cuisine, elle avait essayé d’en faire son métier et elle avait eu l’idée de vendre des galettes qu’elle fabriquait elle-même. Les débuts avaient été très durs, mais elle avait fini par gagner assez pour vivre. C’était dans la rue qu’elle avait rencontré son mari, l’assistant d’un barbier. Ils avaient eu le coup de foudre et s’étaient mariés tout de suite. Il avait quitté ses rasoirs pour vendre les galettes, mais il était mort d’une fièvre, après seulement six mois de mariage. Elle n’avait pas d’enfant.
Tandis qu’elle parlait, Lucius remarqua qu’elle regardait parfois à droite et à gauche d’un air inquiet. Il lui en fit l’observation. Elle hésita à lui répondre, mais elle finit par le faire :
— Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais depuis quelque temps, j’ai l’impression d’être suivie.
— Il y a une raison pour que quelqu’un te veuille du mal ?
— Non, aucune. Je ne vois
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