l'incendie de Rome
pas fait si chaud, Lucius se serait senti glacé. Cela signifiait que Délia était plus que jamais en danger et qu’il n’était plus là pour la protéger !
— Tu l’as fait rechercher ?
— Bien sûr. J’ai même engagé des moyens importants pour le retrouver. Mais, pour l’instant, il faut attendre…
— Il risque de recommencer. Sa victime peut craindre à tout moment une nouvelle agression.
— C’est certain, mais qu’y puis-je ? Je ne peux pas mettre un soldat derrière chaque Romain.
Tigellin se replongea dans ses papiers concernant les Parthes. Lucius était sans illusions, mais il tenta quand même sa chance :
— Tu n’as pas une mission à me confier à Rome ?
— L’empereur te veut auprès de lui, tu le sais bien.
— Mais il ne peut plus chanter.
— Cela ne change rien. Ce sont ses ordres.
— T’a-t-il dit quand il pensait rentrer ?
— Non. Je n’arrive pas à tirer le moindre mot de lui. Je ne l’ai jamais vu dans cet état.
Commencèrent alors, pour Lucius, des jours éprouvants. Il se sentait comme en prison. Il aurait voulu de toutes ses forces être à Rome, mais il en était empêché par un obstacle plus puissant que toutes les murailles : la volonté impériale. Il se demandait sans cesse où était Délia. Était-elle seulement en vie ? N’avait-elle pas été victime d’une nouvelle agression, remplie d’étonnement et de déception qu’il l’eût ainsi abandonnée ?
Oui, la villa maritime d’Antium était bel et bien une prison car, même s’il s’agissait d’un palais, l’existence était loin d’y être plaisante. Bien que vaste, la demeure n’était pas faite pour abriter un aussi grand nombre de personnes. La cohabitation aurait été aisée si on avait pu profiter des vastes jardins ou aller sur les jetées qui s’avançaient assez loin dans la mer. Mais le soleil implacable, sans parler du sirocco qui soufflait un jour sur deux, rendait les lieux infréquentables. Les courtisans s’entassaient donc dans les pièces surchauffées et les plus faibles donnaient des signes inquiétants d’épuisement. Sénèque, en particulier, ne quittait pas sa chambre. Tout le monde se demandait pourquoi Néron ne donnait pas l’ordre de rentrer à Rome où, à tout prendre, on aurait eu de la place. Mais il semblait devenu apathique et absent. Quand on le pressait de partir, il éludait. Alors qu’on l’avait vu faire preuve d’un tel enthousiasme et d’un tel dynamisme après sa victoire au concours, il était devenu subitement l’ombre de lui-même.
Une dizaine de jours avaient passé… Lucius errait sur une des jetées. Il n’était pas loin de midi et le soleil était insupportable, mais cela lui était égal. Il quittait Tigellin, qui venait de lui annoncer encore une fois qu’il n’y avait rien de nouveau concernant le prêtre de Vénus et il avait besoin de se donner de l’exercice pour calmer son angoisse.
Il revenait sur ses pas et se trouvait devant l’une des pièces du rez-de-chaussée, qui avait la particularité d’avoir une porte-fenêtre en verre, matière presque aussi précieuse et rare que l’ivoire, lorsque celle-ci s’ouvrit. Surpris, il vit devant lui Néron lui-même. L’empereur était tout rouge et suant, ce qui n’avait rien d’étonnant, mais il affichait un air sinistre qui inquiéta vivement Lucius.
— Que se passe-t-il, César, veux-tu que j’appelle quelqu’un ?
— N’appelle personne et entre.
L’empereur referma la baie vitrée et Lucius se retrouva dans une pièce de grandes dimensions, mais pauvrement meublée d’un lit doré, d’un coffre, de deux fauteuils et d’une table basse, sur laquelle reposaient des vases grecs. Tout le sol était couvert d’une mosaïque représentant des animaux marins nageant au milieu des flots.
— Sais-tu où tu te trouves ?
— Je l’ignore, César.
— Sur le lieu de ma naissance. Il y a un peu plus de vingt-six ans, à l’heure où, toi, tu tombais dans une jarre d’huile, je voyais le jour sur ce lit et un rayon de soleil me touchait les pieds, me consacrant à Apollon.
Lucius était vivement impressionné, tant de se trouver dans un endroit si chargé d’histoire que du ton de l’empereur, qui avait quelque chose de grave, presque de pathétique. Néron poursuivit sur le même ton tragique :
— C’est elle qui me retient
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