L'inconnu de l'Élysée
négocier secrètement avec les socialistes, Jacques Chirac s'évertue à politiser le problème scolaire et à en faire un bélier contre le président et son gouvernement.
Jean-Marie Lustiger, nouvel archevêque de Paris, tente d'empêcher cette récupération. L'affaire est compliquée du fait des rapports tendus entre le cardinal et le maire de Paris. Chirac est pour l'épreuve de force, Lustiger pour que l'épiscopat négocie secrètement. Le cardinal demande à Chirac d'aller trouver Mitterrand afin de lui dire que le RPR va s'abstenir de jeter de l'huile sur le feu, ce qui l'aidera à se dégager des griffes des extrémistes de la laïcité : il y va de l'intérêt national et de la préservation de la paix civile.
S'il a refusé d'effectuer cette démarche, Jacques Chirac, dans un premier temps, a toutefois accepté de ne pas lancer les forces RPR au combat. C'est Bernard Billaud qui assure la difficile liaison entre le maire et l'archevêque de Paris, mission d'autant plus difficile qu'il partage davantage les vues du second que celles de son patron. Lustiger fait demander à Chirac de ne pas se montrer à la grande manifestation versaillaise du 4 mars 1984 en faveur de l'école privée. Billaud répond que Chirac n'ira pas. Mais celui-ci participe bel et bien à ce défilé qui rassemble quelque 800 000 personnes… Alors que l'affaire secoue la France et ne semble pas devoir retomber, le gouvernement ne fait toujours pas mine de reculer. Chirac ou pas, l'événement dépasse la simple défense de l'école libre ; il revêt pleinement une dimension politique. Le 24 juin, on compte deux millions de manifestants dans les rues de Paris ; le maire de Paris s'exhibe en tête du défilé. Un mois plus tard, Pierre Mauroy démissionne. François Mitterrand a reculé.
Qu'évoque aujourd'hui pour Jacques Chirac cet affrontement avec le président de l'époque ?
« J'ai participé à la grande manifestation de défense de l'école privée. Je me souviens de grandes bousculades… Ça ne remettait pas en cause mon attachement à la laïcité…
– Vous le referiez encore aujourd'hui ?
– Je ne sais pas. Il y avait une question de principe, mais cette manifestation était aussi organisée pour attaquer le gouvernement socialiste… »
Dans la perspective des élections législatives de 1986, le RPR fait alliance avec les centristes plutôt qu'avec le Front national, en dépit des pressions de Charles Pasqua qui, depuis quelques années, se démène en faveur d'un rapprochement avec Jean-Marie Le Pen. Quant au programme, il est ultralibéral et porte la marque d'Édouard Balladur qui entend défaire ce que les socialistes ont fait, notamment en procédant à de nombreuses privatisations. La victoire de la droite, qui porte Jacques Chirac pour la seconde fois à Matignon, est largement celle de son « connétable » qui devient le tout-puissant ministre de l'Économie et des Finances.
Pendant ces deux années de cohabitation, les deux « bêtes » politiques que sont Mitterrand et Chirac vont se livrer un combat sans merci. Le premier, dont les pouvoirs sont rognés, va utiliser les moindres recours que lui offre la Constitution pour limiter les ambitions de son Premier ministre, notamment dans le domaine international. Il va également user du verbe pour le critiquer ouvertement. Il refuse par ailleurs de signer les ordonnances sur les privatisations. Chirac menace de démissionner et est finalement obligé de renoncer à certaines réformes. « Je suis sur le cul : je viens de menacer Mitterrand de démissionner, et il s'en fout 4 ! »
Il n'empêche qu'Édouard Balladur, même s'il n'a pas réussi à faire passer l'intégralité de ses réformes, parvient à modifier du tout au tout la structure de l'économie française et à l'adapter au contexte international. Après le virage libéral accompli par la gauche en mars 1983, la France parachève sa mue et passe d'une économie dirigée à une économie libérale gouvernée par le marché. La privatisation de nombreux grands groupes a pour conséquence de faire valser la plupart des dirigeants nommés par la gauche et d'imposer un patronat dévoué au maître de la rue de Rivoli qui acquiert de ce fait une imposante stature. Un peu plus tard, la privatisation de TF1 va également bouleverser le paysage audiovisuel 5 .
Après les succès de l'été, de lourds nuages s'accumulent à l'automne. Le projet de réforme de l'université proposé
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