L’Inconnue de Birobidjan
brisa le silence :
â Cela étant, mes notes sont plus intéressantes que le papier. Ãa pourrait tâêtre utile. Je tâai envoyé le tout par courrier interne.
â Merci.
â Ãa reste incomplet. Certaines choses se passaient dâêtre écrites sur une feuille de papier, à ce moment-là .
â Tu pourrais me les expliquer maintenant ?
â Possible.
Après quoi il redevint silencieux pendant plusieurs secondes. Rien qui me surprit. Je connaissais sa manière de procéder. Je savais à présent pourquoi il tenait à mâavoir au téléphone. Je tirai un carnet et un crayon du fatras de mon bureau. Quand jâentendis Sam avaler une nouvelle gorgée, je grognai :
â Je tâécouteâ¦
â Avec cette tournée, Staline sâest servi de Mikhoëls comme dâun cheval de Troie. Un champion quand il sâagit de cacher ses sombres forêts derrière de jolis arbres, lâOncle Joe.
â Explique.
â Au tout début de la guerre, à lâoccasion dâun article sur les camps de Japonais autour de Seattle, jâai rencontré un type du FBI. Un gars pas imperméable à lâintelligence. On a sympathisé. Cinq ou six semaines après la tournée de Mikhoëls, après quâil a lu mon papier, il mâa dit : « Sam, je crois quâil est temps que tu piges deux trois trucs sur les valseurs de lâOncle Joe. »
â Il a dit ça : « Les valseurs de lâOncle Joe » ?
â Une bonne image. Sur la piste, tu regardes le meilleur danseur et tu oublies de faire attention aux autres. Ceux qui dansent dans lâombre et sâoccupent dâun tout autre job. La tournée de Mikhoëls ne servait pas seulement à collecter des dollars et de la sympathie.
â Il le savait ?
â Probable que non. Ou sâen doutait et passait lâéponge. Il nâavait pas le choix. Sans Staline il ne pouvait pas sortir dâURSS, et lâurgent était de mobiliser les Juifs des Ãtats-Unisâ¦
â Et ces autres « danseurs » ?
â La sympathie envers les Soviets que soulevait Mikhoëls était un bon préalable au recrutement de Juifs prêts à rendre service autrement quâen sortant leur portefeuille. Câétait le job dâun autre membre du Comité antifasciste juif : Itzik Fefer. Poète yiddish et agent du NKVD. Mikhoëls donnait ses conférences et lui récoltait les fruits mûrs. Il les mettait en contact avec des agents soviets qui les prenaient en main. Des pros du NKVD, ceux-là , avec des cartes diplomatiques de vice-consuls à New York. Deux en particulier : Leonid Kvasnikov et Alexandre Feklisov.
Je notai en vitesse les noms.
â Ãa a marché ?
â Mieux quâon pourrait lâimaginer. Pour beaucoup, câétait la conclusion logique des discours de Mikhoëls. Staline et les Rouges étaient en première ligne contre Hitler. Les Ãtats-Unis, les Anglais et lâURSS étaient alliés. Si la seule arme capable dâarrêter les nazis et dâempêcher le massacre des Juifs était la bombe atomique, lâAmérique ne devait pas la garder pour elle-même. Il fallait aider les Russes à lâavoir. Moralement, ça se tenait.
â Tu as été tenté ?
Sam eut un de ses rares petits rires.
â Les choses étaient un peu confuses, pas vrai ? Heureusement, je nâavais pas à choisir. Je nâavais aucune information à fournir à lâOncle Joe.
Je songeai à mes propres années de guerre. Elles nâavaient pas duré longtemps. Trois années, de 44 à 47, en Angleterre puis à Berlin. Rien dâhéroïque, mais une bonne expérience pour apprendre ce que signifie la confusion.
â Je vois.
â La question est de savoir jusquâoù, Al.
â Ãclaire-moi.
â Le nom de Klaus Fuchs te rappelle quelque chose ?
Je ne pus mâempêcher de sourire. Ce type obsédait tout le monde.
â Je crois que je vais finir par connaître sa bio par cÅur, Sam. La grosse tête de Los Alamos qui a envoyé les secrets de la bombe à Moscou. Les Anglais lâont arrêté en janvier. Il est passé aux aveux en mars. Il y a même eu
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