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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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murmuré ?
    Autour d’elle, les filles protestèrent. La Zotchenska était revenue sur le seuil du théâtre pour annoncer que le bal était terminé. Il faisait trop froid. Les musiciens ne pouvaient pas continuer à jouer, tout le monde allait attraper la mort. Il y eut encore quelques objections. Puis on se tut. La foule se dispersa en petits groupes. Personne ne s’approcha de Marina. Pas même Nadia ou Guita.
    Â 
    Ce soir-là, la datcha fut étrangement silencieuse. Les gestes des femmes étaient lents, presque lourds. Les yeux s’évitaient. Après avoir achevé les tâches indispensables, chacune rejoignit sa chambre plutôt que de rester à bavarder dans la cuisine, comme d’habitude. Il semblait qu’elles s’étaient vidées de tout ce qui leur restait de joie. Elles ne portaient plus que le poids étouffant de la peur et de la tristesse.
    La vieille Lipa n’eut pas un mot de colère quand Nadia et Guita rentrèrent à la nuit largement tombée. Elles puisèrent dans la soupe maintenue au chaud sur le poêle en s’abstenant de raconter ce qu’elles avaient fait jusque-là. Personne ne les questionna.
    Le silence et l’obscurité envahirent la datcha. Allongée sur son lit, Marina entendait sans fin la voix d’Apronrépéter : « Je vais vous donner des ennuis. Ce n’est pas la peine. » Elle avait envie de se moquer, de ricaner. De croire qu’elle avait rêvé. Elle accordait aux mots d’Apron un sens qui n’existait que dans son imagination. Elle inventait. La maladie des femmes trop seules. Ici, elles étaient si nombreuses que c’en devenait un chaudron de folie. Et l’Américain jouait avec elles toutes. Mister Doctor Apron, qui soignait si bien .
    Elle se mentait. D’ailleurs, quand elle fermait les yeux, ce n’était pas le visage d’Apron qu’elle voyait, mais celui, glacé, de Levine. Puis la colère vint. La lassitude.
    Elle s’était finalement à demi assoupie quand la porte de sa chambre s’ouvrit. Quelqu’un entra furtivement, referma sans bruit.
    Marina se redressa brutalement, les yeux écarquillés sur le noir, le souffle court.
    â€” Nadia ? C’est toi ?
    â€” Non. C’est moi, Beilke. N’allume pas.
    â€” Qu’est-ce qu’il y a ?
    Ã€ tâtons, Beilke trouva le bord du lit, s’y assit. Ses doigts rugueux frôlèrent le bras de Marina, le serrèrent doucement.
    â€” Ne fais pas de bruit. Écoute-moi seulement.
    Malgré le noir, le visage invisible de Beilke, Marina sut ce qu’elle allait lui dire.
    â€” Tu veux me demander de ne pas voir l’Américain, toi aussi ?
    â€” Tais-toi, écoute-moi. Je sais que tu n’es pas une gamine. Et nous non plus. Des émigrantes comme toi, ça fait deux ou trois ans qu’on n’en voit plus. Si tu es venue ici, c’est parce qu’il t’est arrivé quelque chose et que tu n’as nulle part ailleurs où aller.
    Le ton était dur, mais les doigts de Beilke avaient trouvé la main de Marina et la pressaient affectueusement contre sa cuisse.
    â€” Ne t’inquiète pas pour ça. Nous avons toutes nos secrets. Et nos « fautes », comme ils disent.
    â€” Je sais ce qui est arrivé à ton mari.
    Marina regretta ces paroles aussitôt qu’elle les eut prononcées. Beilke grogna mais ne lâcha pas sa main.
    â€” Alors, tu sais ce qu’il peut se passer. Tu dois faire attention. Birobidjan est comme partout ailleurs. Il ne faut pas croire que tu es à l’abri. Méfie-toi de Metvei et de la Zotchenska. Metvei te veut. Depuis le premier instant où il t’a vue, il te veut. Et la Zotchenska est capable de te crever les yeux de jalousie.
    Marina se laissa aller contre son oreiller. Elle retira sa main de celle de Beilke.
    â€” C’est très bien, je peux donc danser avec Mister Doctor Apron.
    Le chuchotement de Beilke se durcit.
    â€” Levine ne te partagera avec personne.
    â€” Et alors ? Qu’est-ce que je dois faire ?
    â€” Surtout ne pas t’approcher de l’Américain… Metvei finira par calmer la Zotchenska. Mais ne le dresse pas contre toi.
    Marina se tut. Beilke poursuivit :
    â€” Tu ne t’es pas demandé ce que Meitvei fait

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