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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Birobidjan, sacrifiés à la cause de la grande guerre patriotique de libération, resteraient à jamais l’immense fierté de leurs mères, de leurs épouses et de leurs sœurs. Les sacrifices immenses concédés pour combattre l’ennemi qui détruisait le peuple juif partout en Europe n’étaient que les fondations de la grande nation de génies et de martyrs où les Juifs du monde entier bientôt trouveraient refuge, comme les prolétaires du monde entier trouvaient déjà refuge et justice dans la victoire de l’URSS et de la Révolution bolchevique.
    Levine lut des lettres envoyées par des soldats à leurs épouses et à leurs mères. Toutes disaient leur calme et leur assurance devant le sacrifice. Le vieil acteur Iaroslav, la voix usée par la fatigue et l’émotion, récita des fragments d’articles de Vassili Grossman décrivant l’héroïsme absolu des combattants de l’enfer de Stalingrad.
    Au début, les applaudissements firent trembler les murs du théâtre. Puis, comme usées par les phrases déclamées, la joie et l’exultation de la victoire s’émoussèrent. Le silence bloqua les gorges, et les mains furent plus lentes à applaudir. Les yeux et les oreilles se fermaient, les fronts se baissaient, écrasés par la soudaine présence fantomatique de ces centaines de milliers d’hommes morts dans la boue et la fureur de la Volga.
    Alors qu’un nouveau discours allait commencer, l’une des musiciennes se leva brusquement derrière l’orateur. Elle ajusta son bandonéon et lança les premières notes d’une vieille balade russe, mille fois chantée en yiddish à Birobidjan :
    Â 
    Je ne connais d’autre pays au monde
    où l’homme respire aussi librement…
    Â 
    Dans la salle, deux, puis dix, puis cent voix lui répondirent. Un autre bandonéon, les violons, les clarinettes semirent à jouer. La salle, le théâtre tout entier devinrent un chant. Lourd, tremblant. Gorgé de tout ce qui restait tu.
    Après avoir hésité un bref instant, les officiels du comité se joignirent au chant. Mascha Zotchenska attrapa la main de Levine. Peut-être par gêne, pour ne pas afficher devant tous ce que chacun savait déjà, Levine attrapa celle de Klitenit, qui saisit celle de son voisin. Ce fut comme un signe. Toutes et tous, mains unies, chantèrent à pleine voix l’espérance des pionniers du Birobidjan.
    Retenue, à gauche, à droite, par les doigts frémissants de Nadia et de Guita, Marina, la gorge nouée, fut traversée de part en part par cette communion. Elle ne connaissait pas le premier mot, la première note de ce chant. Pourtant, il se déposa en elle comme si elle était de la même chair, du même sang que toutes celles et tous ceux qui l’entouraient.
    Lorsque le chant cessa, il y eut une immense clameur. Guita cria :
    â€” Tantsn ! Tantsn !
    D’autres filles lui répondirent en russe :
    â€”  Oui, il faut danser !
    Dans le brouhaha, les musiciennes consultèrent Klitenit et Zotchenska. Les jeunes scandèrent :
    â€”  Dansons ! Dansons !
    La politruk sourit. Il y eut de nouveaux applaudissements. La Zotchenska rougit sous les acclamations. À cause des cris de Guita et de Nadia, Levine avait repéré Marina dans la foule. Il l’appela de la main. Mais la bousculade sur la scène le contraignit à se détourner. Il était impossible de danser dans la salle à cause des rangées de sièges. Les musiciennes quittèrent la scène pour s’installer sur le seuil dans le hall.
    La musique s’entendait très bien sur l’immense parvis devant le bâtiment. Les plus jeunes des filles s’élancèrent sur la neige craquante. Des couples se formèrent dans les rires et les interpellations. Les volutes des haleines tourbillonnaient dans le soleil doré. Nadia enlaça Marina. D’autres femmes les rejoignirent. Des couples légers etbalourds à la fois, tournoyant sur la neige en gros manteaux et bottes de feutre, leurs ombres étroites comme des flèches.
    Mascha Zotchenska apparut, entraînant Levine. Ils ne s’éloignèrent guère du porche du théâtre. Levine ne portait pas de manteau, une femme lui posa un grand châle noir sur les épaules.

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