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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Il y eut des rires, des applaudissements. Le large visage de la politruk rayonnait de bonheur.
    L’air glacé transportait loin la musique. Les goyim encore massés devant le bâtiment du comité furent là en quelques minutes. Une vingtaine de jeunes hommes apparut. De très jeunes garçons dont on devinait à peine les visages sous les casquettes. Guita se précipita vers eux, se retourna, agita ses moufles pour que Nadia la rejoigne.
    Marina proposa :
    â€” Va avec eux.
    â€” Non, non !
    Marina interrompit leur danse.
    â€” Ne sois pas sotte. Va danser avec un garçon.
    â€” Grand-maman Lipa et Beilke vont me faire une scène terrible.
    â€” Je dirai que c’est ma faute.
    Elle regarda Nadia rejoindre Guita, qui dansait déjà. Lorsqu’elle se retourna pour regagner l’intérieur du théâtre, il fut là. Devant elle.
    Elle eut un sursaut, comme devant une apparition. Pendant les discours, elle avait cherché à l’apercevoir dans la salle. Il avait disparu. Rien d’étonnant. Pourquoi un Américain aurait-il eu la patience d’écouter ces discours ?
    Et il était là. Serré dans son grand blouson de cuir doublé, une drôle de casquette à large visière sur la tête.
    Il était revenu pour elle. Elle le devina au premier regard.
    Il était assez près pour qu’il puisse tendre les bras, saisir sa taille dans ses mains gantées de cuir.
    Il l’attira contre lui. Elle se laissa aller, résistant seulement pour laisser un peu d’espace entre leurs corps.
    Qu’ils soient sous les yeux de Levine et de la politruk Zotchenska, à peine à dix ou quinze mètres d’eux, elle l’avait oublié. Ça ne comptait plus.
    Ils commencèrent à tournoyer. Un même mouvement, très simple, très naturel. Les bottes se frôlant dans la neige. Soulevant leurs ombres au rythme d’un unique balancement. Apron connaissait bien les valses yiddish, elle n’eut qu’à se laisser guider. C’était un bon danseur, même dans ce froid.
    D’abord, ils évitèrent de se parler et même de croiser leurs regards. Autour d’eux, au contraire, tout le monde les observait.
    Marina voulut l’ignorer. Elle baissa les paupières, pesa un peu plus contre la main qui la soutenait. Leurs hanches se frôlèrent à travers les épaisseurs de vêtements. Puis demeurèrent closes, imprimant l’élan des voltes, les ralentissant, les relançant. Ils ne sentaient plus le froid. Leurs corps enlacés formaient une bulle invisible où le gel ne pénétrait plus.
    Marina tressaillit quand il déclara :
    â€” Depuis l’autre jour, j’y ai pensé. Tous les jours, je me suis demandé.
    Elle n’était pas certaine de comprendre ses mots. Elle le dévisagea, la tête rejetée en arrière.
    Elle finit par dire :
    â€” Oui ?
    Il sourit. Un faux sourire. Ses yeux étaient tristes.
    Elle comprit qu’il avait le même désir qu’elle. L’attirer tout contre lui, poser ses lèvres sur les siennes. Oublier ce qui les entourait. Le froid, la guerre, Birobidjan, ceux qui les scrutaient.
    Peut-être l’auraient-ils fait si la musique n’avait cessé.
    Marina fit un pas en arrière, mais Apron garda sa main dans la sienne. De s’être écartés, ce fut comme si le froid s’abattait entre eux. Marina frissonna. En tournant la tête, elle vit Levine les observer. Son beau visage aussi dur que legel. Il avait ôté le châle de ses épaules, le tenait à la main, bravant le froid. La Zotchenska n’était plus à côté de lui. Elle parlait avec les musiciennes et les faisait lever. Levine tourna brusquement les talons et s’engouffra à son tour dans le hall.
    Apron serra la main de Marina à travers leurs gants avant de la lâcher. Il murmura :
    â€” Il faut faire attention au camarade Levine. Je vais vous donner des ennuis. Ce n’est pas la peine.
    Il lui tourna le dos et s’éloigna. Sidérée, Marina le suivit des yeux pendant qu’il traversait le parvis à grands pas. Elle n’en était pas certaine, mais l’Américain paraissait avoir prononcé ces derniers mots avec un parfait accent russe. Ou bien l’avait-elle cru parce qu’il n’avait que

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