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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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de la Culture du comité central accompagné des commentaires de la secrétaire Priobine : en ces temps de guerre, l’heure n’était plus à la défense des origines culturelles d’un peuple ou d’un autre, mais à celle des valeurs qui soudaient partout autour du monde le prolétariat dans sa lutte contre le fascisme. Il n’existait pas de combat plus urgent ni plus glorieux. N’était-ce pas le sensmême des mots du camarade Staline inscrits sur la bannière de Birobidjan :
    Â 
    La juste cause de l’internationalisme prolétarien est la cause fraternelle et unique des prolétaires de toutes les nations.
    Â 
    Chacun comprit à quoi s’en tenir. Les protestations cessèrent.
    Â 
    Sombres et l’humeur mauvaise, Iaroslav, Vera, Guita et Anna remontèrent sur la scène pour quelques répétitions en russe. Cela tourna à la bouffonnerie provocante. À bout de nerfs, Iaroslav ou Vera s’interrompait pour lancer de ridicules tirades de russe mêlé de yiddish. Cela déclenchait des fous rires mais n’effaçait rien de la tristesse.
    Finalement, Vera Koplevna déclara devant Levine que ces répétitions étaient inutiles. Marina n’avait plus à polir son texte en yiddish et, pour le reste, chacun possédait son rôle. Ce serait bien suffisant. Autant s’occuper d’achever les costumes et les décors qui réclamaient encore du travail.
    Levine accepta sans discuter, assez heureux d’échapper à ces moments pénibles qu’étaient devenues les répétitions. Les scènes qu’il partageait avec Marina avaient perdu leur naturel. L’un et l’autre devaient y échanger des promesses d’amour et des suppliques d’affection. Prononcées en russe, elles devenaient lourdes de double sens, et leur jeu contraint attira les commentaires aigres des vieux acteurs.
    Puis, comme si la nature se décidait enfin à faire fondre la glace des malheurs qui pesait sur les épaules de chacun, le printemps arriva d’un coup. Un jour de fin avril, un peu avant le crépuscule, le ciel se couvrit de ces nuées de cendre qui, d’habitude, annonçaient un surcroît de neige. Pourtant, les quelques flocons qui tombèrent n’étaient qu’un mol agrégat de neige fondante. À l’aube, le vent du sud, venu des lointaines plaines de Chine, se leva. Un vent tiède, lourd, continu, aussi étouffant que l’air surchauffé d’une pièce. Il dévala les collines, s’engouffra au ras des cours d’eau gelés,siffla dans les abattis des forêts, claqua les volets et portails des datchas.
    Cela dura un, deux, trois jours. La neige commença à craquer plus sourdement sous les pas, à coller aux semelles des bottes. L’air se gorgea d’odeurs sourdes, humides, du parfum aigrelet des vieilles écorces de bouleau. Les fumées des maisons se rabattaient sur le sol et les poêles tiraient mal. Puis le vent acheva de disperser les nuées. Le soleil apparut entre des nuages de coton qui filaient vers le nord. Le vent faiblit avant de tomber. Le soleil demeura. Les nuits ne produisirent que de petits gels. La débâcle commença.
    D’abord invisible, elle amollit le sol encore caché de la taïga par des milliers de ruisselets qui n’apparaissaient, scintillants et sautillants, qu’aux revers des talus. Partout dans les mares, les rivières et les fleuves, des claquements de fouet retentirent. La glace cédait, s’enfonçait dans le tumulte des courants.
    D’un bout à l’autre du Birobidjan se tressa un immense réseau de miroirs liquides. Ici et là sur les pentes, la taïga réapparut, noire et lourde comme une nuit de terre. Dans les forêts, la neige s’écroulait des branches dans des chuchotements humides. Les oiseaux strièrent à nouveau le ciel. Au crépuscule, une buée recouvrit les plis et les replis du Birobidjan comme l’haleine d’un corps qui revient à la vie. En une semaine, la Bira et la Bidjan grossirent les infinis méandres du fleuve Amour d’une eau grise aux reflets améthyste. Bouillonnante d’écume, elle se mit à rouler d’un bord à l’autre des rives, les creusant, ouvrant des bras, emportant des îlots et rendant le fleuve infranchissable pour un mois ou deux. Pour la

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