L’Inconnue de Birobidjan
crois quâil est temps que je⦠que je sois franc. Cela peut te surprendre, mais ce nâest pas si extraordinaire.
â Metveiâ¦
Marina, soulagée, haussa les sourcils dans une question muette.
â Je te regarde travailler depuis des semaines. Après la lettre de Mikhoëls, je mâattendais à ce que tu sois à la hauteur, mais câest bien autre chose que je découvre. Cette adaptation de Tévyé , ces dialogues, ce rôle que jâai récrit, tu leur donnes une dimension que je nâimaginais pas. Câest extraordinaire.
â Metvei, je⦠je suis sensible au compliment, mais tu exagères. Jâen suis juste à mâimbiber dâune tradition que jâignorais, avec lâaide de Iaroslav, dâAnna et des autresâ¦
â Marina ! Ãcoute-moi. Tu es une grande actrice. Tous les deux, nous pouvons créer quelque chose de neuf. Detotalement neuf. Revoir cette tradition du théâtre yiddish, précisément. Comme personne ne lâa rêvé. Pas même Mikhoëls. Lui donner le souffle de la modernité. Le souffle du futur socialiste. Le réalisme est au cÅur de la tradition yiddish, mais elle le confine dans la nostalgie. Toi et moi, on peut inventer le théâtre de demain. Pas ici, bien sûr, mais à Moscou ! Jâai besoin dâune actrice comme toi, et toi, tu as besoin de moi pour te donner des textes à ta hauteurâ¦
Prise au dépourvu, Marina resta sans voix. Comprenant à peine où Levine voulait en venir. Songeant à Apron. Pensant, sans parvenir à sâen convaincre  : « Metvei ne sait rien ? Il ne sait vraiment rien ? »
Levine prit son verre et le déposa sur le sol, puis il lui saisit les mains. Il les pressa entre les siennes, les attira contre ses lèvres pour en baiser les doigts.
â Metveiâ¦
â Marina Andreïeva, je parle travail et théâtre, pourtant câest dâautre chose que je veux parler. Quelque chose qui va avec, mais qui est plus profond. Tout au fond de moi, comme le poids invisible dâun iceberg. Un iceberg brûlant. Je parle de mon amour, Marina Andreïeva. Je veux que tu deviennes ma femme, Marina. Je veux que tu mâépouses.
Comme sâil était sur scène, Levine glissa un genou à terre. Il leva vers elle son beau visage, dégagea sa chevelure de ses tempes.
â Je te demande en mariage, Marina Andreïeva Gousseïev.
â Metvei⦠Je⦠Pardonne-moi⦠Je ne sais que dire.
â Ne parle pas. Pas maintenant. Je sais. Ma demande te paraît folle. Tu nâas pas encore considéré qui je suis. Peut-être nâas-tu pas osé ? Mais moi, je te le répète, je nâai regardé que toi depuis lâinstant où tu as posé le pied sur le quai de Birobidjan. Jâai su tout de suite. Ãa sâest inscrit dans mon cÅur.
Il murmurait contre ses doigts, quâil tenait pressés sur sa bouche. Il releva le visage. Se redressa dâune tension pouratteindre les lèvres de Marina. Elle eut un mouvement de recul, se détourna. Le souffle de Levine frôla sa bouche.
â Metvei, nonâ¦
Les mains de Levine se fermèrent plus violemment sur ses doigts, ses lèvres cherchèrent son cou. Marina se rencogna dans le fauteuil en le repoussant durement, le genou frappant la hanche de Levine. Il se leva, le rouge aux pommettes, la chevelure en désordre.
â Pardonne-moiâ¦
Il sâécarta jusquâà son bureau, remit de lâordre dans ses cheveux. Il évita son regard, marmonna :
â Excuse-moi⦠Câest que je rêve de toi depuis tant de jours !
Marina se leva à son tour. Levine sâassit à demi sur son bureau, ferma les yeux une ou deux secondes. Quand il les rouvrit, la rougeur de ses pommettes avait disparu et son expression était froide, sèche.
â Je ne te demande pas une réponse à lâinstant, Marina. Je ne te la demande même pas avant mon départ pour Moscou. Je suis un homme patient. Cependant, réfléchis pendant mon absence. Imagine ce que pourrait signifier la vie avec moi. Et sans moi. La guerre va durer, puis la paix reviendra. Il restera le nouveau monde socialiste à construire. Et tous les deuxâ¦
Levine eut un geste, comme sâil caressait la surface de la
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