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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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aime tant la nouveauté, il va être comblé !
    La discussion avec Levine fut houleuse. Pas plus Marina que ses compagnes ne connurent jamais les arguments employés par Iaroslav. Mais le jour de la fête, la surprise des spectateurs fut absolue.
    Â 
    Comme chaque année, la matinée se déroula en discours, défilés et chants. Après quoi, un grand repas commun servi dans le hall du marché couvert fut encore l’occasion de nouveaux discours. Pourtant la tristesse pesait sur la fête, assourdissait les rires et les plaisanteries.
    La guerre sévissait toujours. Là-bas, à l’autre bout de la Sibérie, sur la Volga, dans les shtetl d’Ukraine et de Pologne, dans ces centaines de bourgs et de ghettos dont venait le peuple de Birobidjan, les nazis tuaient à la chaîne, déchiraient, anéantissaient. Et des frères, des amants, des fils, des pères mouraient par millions dans l’effrayant combat qui ne parvenait qu’à peine à contenir cette marée de massacres. Au soir, sur l’esplanade du théâtre, quand viendrait l’heure du bal, une fois encore les femmes de Birobidjan danseraient entre elles, le cœur envahi par les absents, les morts et les fantômes.
    Et cette interdiction d’entendre la pièce de Cholem Aleikhem en yiddish était une humiliation. Dès les premières années de la fondation du Birobidjan, le spectacle du GOSET était devenu la grande réjouissance de l’après-midi. L’orgueil de ce petit peuple juif qui enfin pouvait jouir sans retenue d’être lui-même et de posséder une terre, enfin pouvait se délecter de la liberté de jouer, dans sa langue, de son art et d’une mémoire que des siècles de pogroms n’étaient pas parvenus à effacer. Aussi, à chaque 7 mai, la foule se pressait-elle dans le théâtre. La salle n’était jamais assez grande, on se serrait dans les moindres recoins, les enfants s’entassaient sur les genoux des parents, explosant en rires et en applaudissements.
    Cependant, quand les portes du bâtiment s’ouvrirent cet après midi-là, personne ne fut surpris par le maigre publicqui s’y montra. Les sièges de la salle étaient loin d’être tous occupés lorsque Levine prononça son discours. Quand Iaroslav entra sur scène, en coulisse Vera Koplevna serra les poings de rage. Sa sœur Guita tenta de la calmer tandis qu’Anna, d’une main tremblante, saisissait le poignet de Marina.
    â€” Pauvre Iaroslav ! Lui qui a eu tant de succès dans ce rôle. À Varsovie, je l’ai vu jouer Tévyé devant des foules. Et il s’obstine. Il croit encore que son mime va arranger les choses… Quel désastre !
    Anna se trompait.
    Les rires jaillirent dès la première scène. Des enfants furent envoyés pour prévenir ceux du dehors qu’il se passait un événement extraordinaire. La salle se remplit bientôt. Iaroslav et Vera s’interrompirent. Toujours muets, ils attendirent que le public prenne place avant de reprendre leur duo. Bientôt, on vit les lèvres des spectateurs bouger. Prononcer en silence les phrases qu’ils n’entendaient pas. Iaroslav avait eu raison. Qui ne les connaissait pas ?
    Levine apparut. La salle résonna soudain de ses répliques en russe. Il y eut une seconde de stupeur. Puis un énorme éclat de rire. Des applaudissements à tout rompre. Personne ne douta que c’était une astuce de mise en scène. Levine, la surprise passée, s’en tira très bien. Il se mit à déclamer avec outrance, caricatura ses personnages devant Marina, la « fille de Tévyé », belle, aimante et silencieuse.
    Une ovation emporta la fin de la pièce. Iaroslav, Vera, Guita, Anna, Marina et Levine, dans un unique enlacement, saluèrent le public dix, vingt fois. Et lorsque les klezmorim entamèrent les complaintes des violons, tout le monde fut debout, chantant, les yeux embués par l’émotion.
    Â 
    Cent fois, durant ce jour, Marina avait cherché la haute silhouette d’Apron. Elle ne la découvrit nulle part. Il n’apparut pas dans la foule qui écoutait les discours, pas au repas, ni dans le théâtre ou après le spectacle, auquel il n’avait pas assisté.
    Tout au long du jour, l’inquiétude de Marina ne

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