L’Inconnue de Birobidjan
Gousseïev allait bientôt lui appartenir. Il y aurait certainement des femmes pour lâenvier, la jalouser.
Elle fut saisie dâun long frisson. Levine sâassit sur le banc à côté dâelle, lui enlaça la taille. Elle aurait voulu le repousser, quitter le banc. Elle murmura seulement :
â Il faut que je rentre.
â Moi qui voulais danser avec toi avant de partir.
Elle eut un petit rire, se redressa en chancelant.
â Peux pas danser, trop saoule !
Elle nâeut pas à feindre. Elle vacilla et Levine dut la retenir. Il y eut des rires autour dâeux. Entre les silhouettes, Marina devina la politruk Zotchenska qui les observait. Levine suivit son regard. Murmura à son tour :
â Mascha ne tâembêtera pas pendant mon absence. Si tu es raisonnable, elle le sera aussi.
Marina le fixa en fronçant les sourcils.
â Raisonnable ?
Levine ne précisa pas. Il lâentraîna loin de lâesplanade et du bal. Le bruit et la musique sâestompèrent. La lumière aussi. Levine la tenait serrée contre lui. Elle le laissait faire. Les larmes étaient revenues, ainsi que la pensée dâApron.
Pourquoi nâétait-il pas là  ? Pourquoi nâavait-il pas tenu sa promesse ? Que se passerait-il si elle le demandait à Levine ?
Elle en fut tentée. Sut se retenir. « Tu es complètement ivre ! »
Elle aurait voulu sâarrêter. Se laisser tomber là , dans le noir. Se rouler en boule comme une enfant dans lâherbe du talus qui déjà repoussait sous les barrières des jardins. MaisLevine lâentraînait plus loin dans la nuit, doucement, gentiment, essuyant à nouveau les larmes qui mouillaient stupidement ses joues.
Ils nâétaient plus loin de la datcha commune quand il sâenquit :
â Tu ne tâes pas décidée ?
Elle fit quelques pas avant de répondre, paupières closes, se laissant guider dans lâobscurité, luttant contre la nausée qui serpentait dans sa poitrine. Pas besoin de demander de quoi il parlait.
â Non.
â Pourquoi ? Je te déplais tant ?
Elle jeta un peu trop fort :
â Non. Tu es le plus bel homme que je connaisse. Tu sais même être gentil, parfois.
â Alors ? Quâest-ce qui te retient ?
Elle ricana. Un vrai grincement.
â Moi ! Câest moi qui me retiens !
Levine ne répondit pas.
Ils furent devant la maison. Un petit lumignon brillait au-dessus de la porte. Juste assez pour laisser deviner les veines des rondins du mur et un peu de la pâleur de leurs visages. Marina sâappuya contre le portillon de la barrière. Levine, sans la lâcher, bascula Marina vers lui. Le froid de la nuit était là , la tiédeur de leur haleine glissait sur leurs visages. Marina posa les mains sur les épaules de Levine, sans le repousser.
â Tu ne connais rien de moi, Metvei Levine. Si tu me connaissais, tu tiendrais moins à moi.
Levine rit. Un rire dâacteur, pensa-t-elle.
â Quâas-tu fait ? Tu as tué quelquâun ?
Elle ne répliqua pas. Le froid traversait ses vêtements. Elle se mit à trembler. Levine lâenlaça. Elle se laissa faire.
Pourquoi avait-elle tant bu ? Elle nâavait plus de force pour rien, surtout pas pour se défendre dâun type comme Levine.
Dans un éclair, un très vieux souvenir la traversa. La danse, lâalcool, la musique nasillarde du gramophone. Unsouvenir si net, si précis, quâelle crut respirer de nouveau lâodeur de tabac de la tunique de Iossif Vissarionovitch.
Avec un grognement de femme saoule elle trouva lâénergie de sâécarter de Levine. Il lâagrippa plus fort, la retint.
â Marina !
Elle lutta encore, faiblement. Devinant ce qui allait se passer. Entendant Levine déclarer :
â Tu as remarqué ? LâAméricain nâétait pas là . Câest la fête de Birobidjan, et il nâest pas là .
Elle cessa de lutter. Le froid collait à sa chair, maintenant.
â Marinaâ¦
La bouche de Levine chercha la sienne. Une bouche très douce, habile, brûlante, insistante, quâelle laissa sans réagir parcourir son visage, ses lèvres.
Comme une morte, songea-t-elle.
Levine en prit conscience. Relâcha son
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