L’Inconnue de Birobidjan
prononcer son nom.
â Je suis sérieux, Shirley. Ces types-là mentent comme ils respirent. Câest une vraie peste. Ils vont bousiller ce pays plus sûrement que les Japonais ont anéanti Pearl Harbor. Et jâen ai marre quâils se servent de moi pour faire oublier quâils détestent les Juifs.
â Où le proposes-tu, ce dîner ?
On négocia pour la forme. Je savais dâavance quâil me faudrait réserver une table Chez Georges. Ce genre de restaurant typique de Washington avec un chef français, des têtes célèbres et des additions géantes. Shirley mâaccorda trois jours pour que je réunisse les fonds avant de tenir ma promesse.
Cette question réglée, je filai à mon bureau pour appeler le siège du journal à New York. Depuis lâannée précédente, le New York Post était dirigé par James Wechsler. Un type ambitieux et compétent qui était en train de faire du Post un journal populaire doté dâune âme libérale. Rien qui plaise aux sénateurs de lâHUAC. Mais on tirait à plus de 600 000 par jour, et ça méritait attention. Le bras droit de Wechsler sâappelait Samuel Vasberg. Je lui devais ma place au journal. Ce fut lui que je joignis. Je lui racontai lâaudition et lui brossai un portrait de la Russe. Je conclus par les arguments que jâavais utilisés avec Shirley. Comme sâil lâignorait, je lui rappelai que Nixon était en pleine bagarre pour sâasseoir sur le siège de sénateur de Californie. Toute sa campagne était axée sur le danger des comies , ces « communistes traîtres de lâintérieur ». Dans ses discours, cette catégorie infernale englobait le président Truman et le Parti démocrate. Néanmoins, pour être un tant soit peu crédible, il lui fallait nourrir ses mensonges avec de belles victimes.
Jâajoutai aussi, histoire de charger la barque :
â En plus, on ne sait jamais. Peut-être quâil y a une part de vérité. Peut-être que cette femme est vraiment en cheville avec le réseau qui a volé les secrets de la bombe atomique ?
Cela avait bel et bien eu lieu. Lâannée précédente, à lâété 1949, les Soviétiques avaient fait exploser leur propre bombe atomique. Tous les experts étaient dâaccord : ils nâavaient pu y parvenir quâen empruntant le mode de fabrication à Los Alamos.
à lâautre bout du fil, Sam ne mordit pas à cet hameçon. Il resta silencieux pendant une demi-minute. Je respectai sonsilence. Câétait comme si jâentendais les questions tourner dans son cerveau. Il finit par déclarer dâun ton étonné :
â Il me semblait que la CIA possédait la preuve que Staline avait tué lui-même sa femme ?
â Ils ont dû faire un raccourci. Selon la Russe, lâOncle Joe aurait plutôt désespéré sa femme au point quâelle veuille en finir toute seule. Dâaprès ce quâon sait de la suite, il a lâair assez doué pour ça, non ?
â Hmm⦠Cette région juive de Sibérieâ¦
â Le Birobidjan ?
â Jâen ai entendu parler. Il y a six ou sept ans de cela, pendant la guerre. Un groupe de Juifs antifascistes était venu à New York et à Hollywood faire de la propagande pour Staline. Une délégation conduite par un acteur yiddish. Je ne me souviens plus de son nom. Il donnait des conférences et récoltait de lâargent pour lâeffort de guerre soviétique. à lâépoque, je couvrais ça pour le Times .
â Donc, elle ne raconte pas que des bobardsâ¦
â Ãa, câest une autre histoire, mon garçon. Comme on sait, les plus beaux mensonges sont tissés de vérités.
â Sam, cette femme nâest pas dâun modèle standard.
â Et jolie ?
â Mieux que ça.
â Hmm. Quâest-ce que tu veux de moi ?
â Savoir si tu me soutiens pour que je gratte sous les apparences. Ãa peut prendre du temps.
â Et ?â¦
â Que Wechsler obtienne de Wood quâil me laisse assister aux audiences.
Nouveau silence.
â Pourquoi Wood nous ferait-il cette fleur ?
â Parce quâon peut sortir cette histoire sans son avis. En ce
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